Personne ne reste 37 ans à la tête d’une organisation sans traverser quelques tempêtes. Sauf que cette fois, le vent de face soufflait trop fort. Gilles Courteau n’était plus capable de s’accrocher. Il a cédé les commandes de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) au président sortant des Alouettes de Montréal, Mario Cecchini.

Les 30 premières années du règne de Gilles Courteau furent marquées par une expansion et une croissance spectaculaire de la LHJMQ. Les sept dernières ? Par des problèmes. Beaucoup de problèmes.

La pandémie. Le confinement. Le déconfinement. Le reconfinement, à la veille des séries. Le bras de fer avec Québec, pour les bagarres. L’arrestation de deux joueurs des Tigres de Victoriaville, pour agression sexuelle. Les critiques des entraîneurs, envers un calendrier surchargé. Et les poursuites, qui s’accumulaient sur son bureau.

« Les poursuites, c’est ce qui m’occupe le plus », me disait-il lors d’une rencontre dans son bureau de Boucherville, il y a deux ans.

La ligue venait alors de conclure une entente avec d’anciens joueurs, qui estimaient avoir été sous-payés pour leurs heures travaillées pendant leur stage junior. Un litige qui a coûté 30 millions aux trois grandes ligues de hockey junior du pays, ainsi qu’aux clubs.

Maintenant que cette histoire était derrière lui, Gilles Courteau se concentrait sur deux autres actions collectives. La première concernait un complot visant à limiter les opportunités de travail des joueurs de 18 à 20 ans.

L’autre ?

Des initiations dégradantes.

Gilles Courteau savait qu’il y avait déjà eu des initiations corsées dans la LHJMQ. Il l’a reconnu en novembre 2021 dans un témoignage sous serment, retracé par mes collègues Simon-Olivier Lorange et Ariane Lacoursière. « C’est beaucoup plus agréable d’être joueur dans la LHJMQ aujourd’hui que ça pouvait l’être il y a 20 ans », avait-il commenté, en plus d’ajouter : « il y a eu des problèmes liés au bizutage », attribuables à des « individus » et des « équipes spécifiques de la LHJMQ ».

Quels individus ? Quelles équipes ?

Ce n’est pas précisé.

Lorsque Gilles Courteau est allé témoigner en commission parlementaire, il y a deux semaines, les députés ignoraient l’existence de ce document. Ils n’avaient pas pris connaissance, non plus, du témoignage d’un ancien joueur de la LHJMQ, Stephen Quirk, qui a raconté avoir été victime de violences sexuelles lors de son initiation chez les Alpines de Moncton, dans les années 1990.

Donc lorsque Gilles Courteau a affirmé, sous serment, qu’« aucun cas rapporté » auprès de la LHJMQ était « similaire » aux agressions sexuelles décrites dans une chronique de Martin Leclerc, de Radio-Canada, les élus furent incapables de le confronter.

Or, dans les jours suivants, les documents furent rendus publics par Radio-Canada et La Presse. Coup de ressac pour Gilles Courteau qui, en entrevue à La Presse, a reconnu avoir fourni une fausse information aux parlementaires. « J’ai affirmé quelque chose qui n’était pas véridique. Je n’ai pas pris le temps de lire [la déclaration sous serment de Stephen Quirk] au complet, je m’en excuse. »

Alors là, le vent s’est levé. Plus fort que jamais. Caquistes, libéraux, solidaires, péquistes, tous ont exigé ou bien son départ, ou bien son retour en commission parlementaire.

La démission est remise. L’audience pourrait suivre. La ministre Isabelle Charest, qui est en conflit avec Gilles Courteau, le souhaite. Plusieurs questions n’ont pas pu être posées la première fois.

Par exemple, qui sont les « individus » auxquels Gilles Courteau fait référence ?

Des joueurs ? Des entraîneurs ?

Quelles « équipes spécifiques » posaient problème ?

Quels gestes furent posés ?

En quelle année ?

La ligue est-elle intervenue ? Si oui, quand ?

Les élus pourraient aussi demander à la ligue de leur fournir ses enquêtes internes. On sait qu’il y en a au moins une, produite en 2019, sur deux initiations chez le Phœnix de Sherbrooke. Les enquêteurs avaient conclu qu’« aucun incident malheureux n’a été rapporté lors de ces deux soirées ». Tant mieux.

La ligue avait toutefois reconnu que « les soirées en général se doivent d’avoir des règlements plus serrés ». Elle avait demandé à ses équipes de se montrer « plus vigilantes » et de « mettre les efforts nécessaires pour mieux sensibiliser les joueurs [et] renforcer les règles ».

À l’avenir, précisait-elle, il y aura un « encadrement plus rigoureux, notamment au niveau de la supervision de ce genre de soirées et du transport sécuritaire des joueurs ».

Dans la LHJMQ, on tourne une page d’histoire.

Gilles Courteau a fait ses débuts dans la ligue en 1975, comme statisticien des Draveurs de Trois-Rivières. Après quelques années comme directeur général des Remparts de Québec, il est devenu, en février 1986, président de la LHJMQ.

Sous son leadership, le centre de gravité de la ligue s’est déplacé vers l’est. Rimouski et Baie-Comeau ont chacun eu une équipe. Halifax, Moncton, Bathurst, Saint John, Charlottetown et le Cap-Breton aussi.

Une expansion couronnée de succès, tant aux guichets que sur la glace. Plusieurs joueurs des provinces maritimes, comme Sidney Crosby, Nathan MacKinnon et Brad Richards, ont permis à la ligue de rayonner davantage.

Une fois l’expansion complétée, Gilles Courteau a visé la stabilité. Encore là, avec succès. Aucune franchise n’a changé de marché depuis 11 ans. Pour une ligue junior, c’est l’exception, et non la règle.

Le commissaire sortant a également martelé l’importance de la réussite scolaire. Pendant son mandat, les clubs ont embauché des conseillers pédagogiques, et la ligue a offert 3650 bourses d’études, pour un montant total de plus de 17 millions. C’est nettement mieux qu’il y a 30 ans.

Après, la ligue peut-elle favoriser davantage la conciliation hockey-études ? Oui. Des entraîneurs – Patrick Roy notamment – ont déjà suggéré de réduire le nombre de parties. Peut-être devrait-on aussi envisager l’interdiction d’échanger un joueur recrue qui fréquente encore l’école secondaire, pendant la période de transfert du temps des Fêtes.

Ces dossiers et celui des bagarres aboutiront bientôt sur le bureau du prochain commissaire, Mario Cecchini. Attendez-vous à un changement de ton, surtout dans les relations tendues entre la ligue et le gouvernement. Le futur patron de la LHJMQ a de bons contacts, tant chez les caquistes que chez les libéraux.

Ce sera déjà un caillou de moins dans ses nouveaux souliers de commissaire.