Pour la deuxième fois en quatre ans, les Alouettes se retrouvent sous la tutelle de la Ligue canadienne de football.

Faut-il s’en inquiéter ?

Oui.

Les vedettes s’en vont. Les assistances plafonnent. Les finances sont fragiles. Le club joue dans un stade loué (à McGill), il s’entraîne sur un terrain loué (au Parc olympique) et ses employés travaillent dans des locaux loués (aussi au Parc olympique, à bon prix). Et maintenant, il n’y a plus de propriétaire. Pas précisément une recette gagnante.

Dans l’attente du chevalier blanc qui sauvera les Alouettes, la LCF a demandé aux actionnaires des autres équipes d’assumer les frais de fonctionnement de la franchise montréalaise. Une situation tout aussi étrange que malaisante.

On tentera de nous faire croire que ce sera business as usual, jusqu’à l’arrivée de nouveaux investisseurs. Or, l’histoire récente nous a démontré qu’une mise sous tutelle est tout sauf ordinaire.

Souvenez-vous de celle des Expos, en 2002. Contre toute attente, l’équipe s’était retrouvée dans la course aux séries éliminatoires. Le directeur général Omar Minaya désirait rappeler un voltigeur des ligues mineures, Peter Bergeron. Une petite dépense. Quelques dizaines de milliers de dollars, tout au plus. Nenni, ont répondu les propriétaires des autres équipes. Les Expos ont raté les éliminatoires.

La saison sous tutelle des Alouettes, en 2019, fut également hors norme. En quelques mois, le club a perdu son président, son directeur général et son entraîneur-chef. Un acheteur potentiel était même descendu dans le vestiaire, après une victoire, pour faire un discours et célébrer avec les joueurs. Un faux pas majeur.

Cette fois-ci, étrangement, la tutelle est un moindre mal. C’est même préférable au statu quo.

Il faut savoir que depuis le non-renouvellement du contrat du président Mario Cecchini, en décembre, c’était devenu bordélique. La fiducie de Sidney Spiegel, le propriétaire majoritaire mort en 2021, désirait trouver de nouveaux investisseurs. Entre-temps, les contraintes s’accumulaient.

Un exemple : jusqu’à lundi soir, les Alouettes n’offraient plus de bonis de signature, a confié une source à La Presse. Gros problème, à quelques heures de l’ouverture du marché des joueurs autonomes. C’est que les joueurs américains recherchent ces bonis, avantageux sur le plan fiscal. Je ne sais pas si c’est ce qui a convaincu le quart-arrière Trevor Harris ainsi que les receveurs Eugene Lewis et Jake Wieneke de quitter Montréal, mais c’est certain que le directeur général Danny Maciocia n’avait pas toutes les cartes dans son jeu.

On me dit que la situation est revenue à la normale, mardi, après la mise sous tutelle. Tant mieux. Mario Cecchini a repris la présidence, par intérim. Tant mieux aussi. Sa présence rassurera les employés, et stabilisera un paquebot qui tangue.

La Ligue canadienne de football a entamé « un processus de vente accéléré et formel » pour trouver rapidement de nouveaux propriétaires pour les Alouettes.

Lors de la dernière mise en vente, en 2019-2020, au moins cinq groupes québécois avaient manifesté un intérêt. Plusieurs noms avaient circulé : l’acteur et producteur Louis Morissette, le financier Clifford Starke, l’ex-footballeur Éric Lapointe, le fondateur de Stingray Eric Boyko (qui n’est plus intéressé, me dit-on). La LCF avait même conclu une entente de principe avec un consortium dirigé par deux frères québécois, Jeffrey et Peter Lenkov. Lorsque la transaction a échoué, la ligue a préféré vendre la franchise à des investisseurs ontariens, plutôt que québécois.

C’est quoi, déjà, notre devise ?

Ah oui. Je me souviens.

Eh bien, je vous assure que Québec inc. se souvient très bien de cette décision de la LCF. Ne soyez d’ailleurs pas étonnés si des investisseurs locaux qui désiraient acheter le club il y a quatre ans passent leur tour cette fois-ci. Les risques d’une récession, dans la prochaine année, incitent également à la prudence.

Dans un communiqué publié mardi, la LCF assure que « plusieurs groupes ont déjà exprimé un vif intérêt pour acheter les Alouettes, y compris des groupes dont les membres habitent ou œuvrent à Montréal, ou dans la province de Québec ».

J’insiste sur le choix des mots. « Dont les membres habitent ou œuvrent à Montréal, ou dans la province de Québec ». Une définition qui s’appliquait aux propriétaires précédents, Sidney Spiegel et Gary Stern. Ces derniers possédaient des entreprises à Rouyn et à Longueuil, ainsi que des édifices à Montréal, mais ils résidaient en Ontario.

Cette fois, les Alouettes ont besoin d’investisseurs ancrés dans la communauté montréalaise. De gens d’affaires engagés, investis, capables d’attirer de nouveaux commanditaires locaux – le nerf de la guerre. Des propriétaires qui souhaitent prendre des risques, pour créer de la richesse.

Ça prend des Québécois prêts à sortir la franchise de sa précarité.