Joe Biden se présentait jeudi soir devant le public américain un peu comme s’il était ausculté par des millions de gériatres amateurs.

Pour « un homme âgé avec une mauvaise mémoire », Joe Biden a plutôt bien fait ça. Il parlait fort, le ton était vigoureux, il n’a presque pas bafouillé. Bien sûr, tout était écrit, et il n’avait qu’à lire sur les télésouffleurs. Mais un homme aux capacités déclinantes ne peut pas faire ça si aisément pendant une heure. Il s’est même permis de sortir de son texte pour improviser quelques répliques aux républicains qui protestaient dans la salle.

Cette allure combative contrastait avec ses dernières sorties publiques, où il parlait faiblement, se déplaçait péniblement et se trompait de nom en parlant de présidents.

Les premiers sondages indiquent qu’il a surpris favorablement, mais ça ne veut pas dire que le dossier médical est fermé pour le public, qui le trouve trop vieux. Disons qu’il a obtenu sa permission de sortie.

Il reste encore, dans le ciel politique, cette formule du procureur indépendant publiée il y a un mois : « un homme âgé avec une mauvaise mémoire » – ce qui était pour lui une des raisons de ne pas envisager d’accusation contre lui pour avoir conservé des documents secrets.

Que ce soit juste ou non, que le procureur ait eu tort ou non d’avancer ce « constat » subjectif, une présomption de déclin cognitif pèse sur le président. Il lui faut convaincre les Américains de son aptitude à exercer ses hautes fonctions.

L’élection aura lieu dans huit longs mois. Maintenant que les candidats sont virtuellement choisis, chaque apparition publique de Biden est certes jugée sur le fond, mais beaucoup plus sur la forme. Sur sa forme. Ce qui est inédit dans une campagne présidentielle moderne.

Des organisateurs démocrates font valoir que Franklin D. Roosevelt était handicapé et incapable de marcher, mais a tout de même été un grand président pendant la crise des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale. Sans doute, mais le public était à peu près totalement ignorant du fait qu’il lui fallait des supports en métal pour se tenir debout, et jamais la presse ne le photographiait en fauteuil roulant. Plus important : personne ne remettait en question ses capacités intellectuelles. Le problème de Biden n’est pas qu’il marche difficilement ou d’un pas hésitant. C’est qu’il le fasse à cause de son âge. Comme il est en politique depuis 50 ans, le public l’a vu décliner.

PHOTO ANDREW CABALLERO-REYNOLDS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Prenant un bain de foule parmi les représentants après son discours, le président Joe Biden s’est vu offrir un maillet par le représentant républicain de la Californie, Doug LaMalfa

Ce n’est pas pour rien qu’on l’a vu s’attarder longuement après son discours pour parler avec les élus et les dignitaires. C’était une autre manière de montrer qu’il est toujours le même bon vieux Joe, près des gens, passionné par sa mission, qui peut « fermer le party ». Et pas un aïeul qui veut seulement aller se coucher.

S’il avait fallu qu’il flanche, qu’il montre de vrais signes de faiblesse (à part ses toussotements), ça aurait été catastrophique.

Il faut que ça tienne.

Vu que la majorité des Américains ne veulent ni de Trump ni de Biden, mais que c’est tout ce qu’il y a à vendre, la stratégie démocrate n’est pas très compliquée : on a été très bons, mais laissez-nous vous rappeler que l’autre est vraiment pire.

En quelques minutes, on a vu les lignes de force du plan d’action démocrate dans les personnes qu’a présentées Biden. Dans la tribune, à gauche de sa femme Jill, on pouvait apercevoir le premier ministre de la Suède, Ulf Kristersson. Le pays s’était joint à l’OTAN le jour même. Biden, l’homme qui tient tête à Poutine.

À droite de Jill Biden, une femme de l’Alabama ayant eu un enfant grâce à la fécondation in vitro, pratique désormais empêchée dans cet État à cause d’un jugement ayant décrété que l’embryon est un être humain. Il devient donc criminel de détruire un embryon… ce qui est pratique courante dans de telles interventions. Biden, l’homme qui défend la famille contre l’extrémisme religieux conservateur.

À droite de cette femme, une Texane de Dallas, dont le fœtus n’a aucune chance de survie, mais qui ne peut se faire avorter dans son État. Biden, l’homme du droit des femmes à disposer de leur corps, droit que Trump se vante d’avoir restreint en nommant une majorité de juges conservateurs à la Cour suprême.

C’est vrai, Biden devra passer et repasser pendant huit mois le test du public-gériatre-malgré-lui.

Mais il compte aussi sur Trump pour rappeler à tout le monde pourquoi ils n’ont pas voté pour lui. L’image était forte, quand il a rappelé que le 6 janvier 2021, dans ce même Capitole, des insurgés sont entrés de force, encouragés par Donald Trump. « Certains d’entre vous étiez ici », a-t-il dit aux élus pris à témoin.

Ce jour restera dans l’histoire comme celui de la « plus grande menace pour notre démocratie depuis la guerre [de Sécession] », a-t-il dit. Rappelez-vous : c’est parce que Trump a refusé la défaite que tout cela est arrivé. « On ne peut pas aimer son pays seulement quand on gagne. »

Ce sera souvent dit : rappelez-vous à qui vous avez affaire. Rappelez-vous le chaos, l’incompétence, la disgrâce, la malhonnêteté, l’indécence, les crimes.

« L’Histoire nous regarde. »