Caroline Harvey Blouin a « eu un choc » quand elle a appris que sept travailleurs humanitaires internationaux de l’organisation américaine World Central Kitchen, dont un Québéco-Américain, avaient été tués par des tirs israéliens le 1er avril dans la bande de Gaza. L’infirmière clinicienne québécoise travaille pour Médecins sans frontières dans l’enclave palestinienne depuis la mi-mars.

« Malgré ça, il faut continuer », m’a-t-elle dit vendredi de Rafah lors d’une entrevue sur WhatsApp. « Pour moi, il y a eu un autre incident encore plus marquant que la tragédie des sept travailleurs de World Central Kitchen » (WCK), ajoute celle qui porte le chapeau de coordonnatrice médicale dans le cadre de son déploiement dans la bande de Gaza. « La veille, il y a eu des bombardements dans l’enceinte de l’hôpital al-Aqsa. […] Moi et mes collègues, on aurait pu être là ! »

Au moins quatre personnes sont mortes ce jour-là et 17 autres ont été blessées, selon l’Organisation mondiale de la santé. « Quand les forces israéliennes identifient une personne qu’ils veulent cibler, ils n’hésitent pas à frapper, et ce, même si c’est dans un hôpital gouvernemental. Dans ces structures-là, il y a plein de monde. C’est impossible de savoir qui s’y trouve », m’a raconté Mme Harvey Blouin.

Trop souvent depuis le début de la réponse militaire d’Israël aux attentats du Hamas du 7 octobre, les travailleurs humanitaires palestiniens, tout comme les travailleurs de la santé, se retrouvent dans la ligne de tir.

Malheureusement, leur mort n’a pas été accompagnée de dénonciations vigoureuses de la part des dirigeants occidentaux comme l’a été celle des sept ressortissants étrangers cette semaine. Les puissants de ce monde n’ont pas déchiré leur chemise pour exiger des enquêtes indépendantes sur les circonstances entourant la mort de ces acteurs essentiels, comme ce fut le cas pour les membres de l’équipe de WCK.

Et pourtant, les chiffres sont effarants depuis fort longtemps. En date du 20 mars, au moins 196 travailleurs humanitaires avaient été tués dans la bande de Gaza depuis la reprise du conflit, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations unies. C’est 196 de trop, puisque le droit international ordonne aux belligérants de les protéger.

« Je suis extrêmement peiné et consterné par les frappes israéliennes multiples qui ont tué sept membres du personnel de World Central Kitchen. Mais ce n’est pas un incident isolé », a souligné le patron de l’OCHA, dans un communiqué de presse, en notant que les pertes de vie parmi les travailleurs humanitaires dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre étaient « trois fois plus élevées » en six mois que dans tout autre conflit sur une année.

Dans une base de données consacrée à la sécurité des travailleurs humanitaires, Aid Worker Security Database, on peut voir que le premier incident a eu lieu au tout premier jour des hostilités. Ce jour-là, deux Palestiniens qui travaillaient dans un établissement de santé chapeauté par une organisation internationale sont morts lors d’un bombardement aérien à Khan Younès.

Et ce n’était que le début. Entre le 7 et le 31 octobre 2023, 70 employés des Nations unies ont été tués dans les combats opposant l’armée israélienne au Hamas. La plupart travaillaient pour l’UNRWA, l’agence onusienne qui veille sur les réfugiés palestiniens. Israël allègue qu’une douzaine d’employés de cette organisation ont participé aux attentats du 7 octobre.

Pour sa part, l’organisation Médecins sans frontière déplore la mort de cinq membres de son équipe. Tous palestiniens. Parmi eux, on trouve l’infirmier bénévole Alaa al-Shawa. Selon l’organisation, ce dernier a été tué d’une balle dans la tête le 18 novembre dernier alors qu’il prenait place dans un véhicule clairement identifié aux couleurs de l’organisation et qui faisait partie d’un convoi d’évacuation. Les autorités israéliennes avaient été avisées.

Cet incident n’est pas sans rappeler celui dont ont été victimes les employés de WCK cette semaine.

Que serait-il arrivé si les Justin Trudeau et les Joe Biden de ce monde s’étaient montrés aussi outrés le 18 novembre dernier qu’ils le sont ces jours-ci ? J’ose croire que de nombreuses vies auraient été sauvées. Parmi les travailleurs humanitaires, mais aussi parmi les civils que ces derniers épaulent.

« La seule manière d’arrêter tout ça, c’est un cessez-le-feu ! », rappelle Federico Dessi, directeur régional de l’organisation Humanité & Inclusion, lui aussi joint à Rafah. Son organisation, qui portait naguère le nom de Handicap International, a perdu une de ses employées, Marah, morte avec ses quatre enfants dans un bombardement israélien.

Fort de 18 ans d’expérience au cœur des pires conflits de la planète – la Syrie, l’Ukraine –, Federico Dessi affirme n’avoir jamais été témoin d’un tel niveau de violence dans une guerre.

Cette semaine, il dit avoir ressenti une bonne dose d’indignation quand il a appris que les trois voitures de World Central Kitchen avaient été frappées à trois moments différents. « Cet incident montre que les règles d’engagement de l’armée israélienne sont lâches [“lousses”, en québécois]. Il y a eu beaucoup de civils tués parce que des décisions ont été prises rapidement ou parce qu’elles ont été peu encadrées », note le travailleur humanitaire.

Mais malgré le danger, malgré la colère, son organisation qui compte 213 personnes dans son équipe de Gaza ne compte pas plier bagage et continuera de s’occuper des blessés et des personnes handicapées. Les besoins sont trop grands et l’aide trop rare.