De l’extérieur, l’attaque de l’Iran contre Israël dans la nuit de samedi à dimanche a pris des airs de gros feux d’artifice.

On estime que 99 % des quelque 300 drones et missiles de la République islamique ont été interceptés et ont explosé loin du sol de l’État hébreu. Les dommages matériels, eux, sont limités. Pour le moment, il y a eu des blessés, mais pas de perte de vie.

PHOTO RONALDO SCHEMIDT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un homme traverse une rue pratiquement déserte de Jérusalem, au lendemain de l’attaque lancée par l’Iran.

Ajoutons à cela que l’Iran, en avisant ses propres alliés de l’attaque à venir près de 72 heures à l’avance, a presque envoyé un faire-part à Israël, lui permettant de mobiliser ses forces et celles de ses amis, dont les États-Unis, la Jordanie, la France et le Royaume-Uni.

Oui, tout ça pourrait avoir l’air d’un spectacle pyrotechnique si ce n’était de l’extrême dangerosité de ce nouveau chapitre du conflit au Moyen-Orient. Un chapitre qui est loin d’être clos. Quoi qu’en disent les autorités iraniennes.

Ce nouvel épisode d’hostilités s’articule autour d’un précédent historique, d’une nouvelle ligne franchie. Israël et l’Iran ont beau être des ennemis jurés depuis 45 ans, jamais la République islamique ne s’en était prise directement à l’État hébreu avant l’attaque du week-end dernier.

PHOTO ATTA KENARE, AGENCE FRANCE-PRESSE

On peut lire en hébreu, sur cette bannière installée sur la façade d’un immeuble de Téhéran : « Votre prochaine erreur sera la fin de votre faux État ».

Et ce serait une erreur d’y voir seulement un coup de semonce. « Trois cents drones et missiles, c’est plus que théâtral ! », dit Thomas Juneau, expert de l’Iran et professeur d’affaires internationales à l’Université d’Ottawa, en ajoutant que Téhéran n’avait aucune garantie qu’Israël allait réussir à intercepter la quasi-totalité de sa force de frappe.

Si un missile était tombé sur une ville israélienne, il aurait pu y avoir des dizaines, voire des centaines de morts.

Thomas Juneau, de l’Université d’Ottawa

Dans le passé, l’Iran était plutôt devenu maître dans l’art de s’en prendre à Israël en utilisant des acteurs interposés. Le Hamas dans les territoires palestiniens, le Hezbollah au Liban et les houthis au Yémen.

Israël, pour sa part, a maintes fois frappé l’Iran, mais en laissant planer le doute sur sa responsabilité. L’État hébreu n’a jamais revendiqué les assassinats de nombreux scientifiques nucléaires iraniens sur le sol iranien. Le 1er avril, lorsqu’une attaque de haute précision a rasé le consulat iranien à Damas, tuant sept membres des forces Al-Qods des Gardiens de la révolution, dont trois hauts commandants, Israël n’a ni nié ni confirmé son rôle.

PHOTO MAHER AL MOUNES, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le consulat iranien à Damas a été touché le 1er avril dernier par une frappe imputée à Israël.

Mais cette dernière attaque semble avoir changé la dynamique entre les deux ennemis. Dimanche, les leaders iraniens justifiaient leur attaque contre Israël à coup de déclarations dans les médias et de communiqués, affirmant qu’il s’agissait d’un geste d’autodéfense et d’une « action responsable et proportionnée », aux dires du président Ebrahim Raïssi. Aucune tentative de faux-semblant.

La balle est maintenant dans le camp d’Israël. Dimanche, Benyamin Nétanyahou a réuni son cabinet de guerre. Son cercle rapproché semble déchiré entre la nécessité d’apaiser la situation et de répliquer.

Les éléments les plus extrémistes du gouvernement israélien n’y vont pas de main morte. Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité nationale, issu de l’extrême droite, croit qu’Israël « doit se déchaîner » dans sa réponse pour rétablir « un effet de dissuasion au Moyen-Orient ». Son collègue des Finances, Bezalel Smotrich, a affirmé qu’Israël gagnera « si sa réponse a des échos dans tout le Moyen-Orient pour des générations à venir ».

Au téléphone, Benyamin Nétanyahou a reçu un tout autre message. Le président américain lui a demandé de ne pas répondre à la provocation iranienne, en précisant que les États-Unis ne feraient pas partie d’une contre-offensive. D’autres appels à la retenue, adressés autant à l’Iran qu’à Israël, ont plu de partout. Du G7 comme de la Russie.

Pour Israël, les enjeux sont grands. Une réplique pourrait mener à une escalade, mais une retenue totale pourrait être interprétée comme un signe de faiblesse. « L’Iran pourrait se saisir de ça pour l’exploiter », craint Thomas Juneau.

Entre les deux, il y a un éventail de scénarios diplomatiques, politiques et militaires, mais aucun n’est immunisé contre une erreur stratégique avec des conséquences tragiques. « Il faut se rappeler ce qu’il s’est passé dans les hostilités entre les États-Unis et l’Iran en 2020 », note Laurence Deschamps-Laporte, professeure de sciences politiques et directrice du Centre d’études et de recherches internationales.

PHOTO VAHID SALEMI, ASSOCIATED PRESS

Un manifestant brandit une photo de Qassem Soleimani lors d’un rassemblement à Téhéran, dimanche.

À l’époque, les États-Unis avaient assassiné Qassem Soleimani, le commandant en chef de la Force Al-Qods. Dans sa réplique, l’Iran a abattu un avion de l’Ukraine International Airlines, tuant les 176 passagers, dont 85 citoyens et résidents permanents canadiens. « C’est dans ces circonstances qu’est arrivée la tragédie du vol PS752 et qu’on a perdu des Canadiens. Des cibles civiles peuvent se retrouver dans la ligne de feu, note l’experte du Moyen-Orient. C’est dans un contexte d’escalade de la sorte que plusieurs guerres ont commencé. »

La confrontation plus directe entre Israël et l’Iran a aussi d’autres conséquences. Elle détourne l’attention de la situation dans la bande de Gaza, où la violence ne prend pas de congé ni pour les civils palestiniens, qui sont sous les bombes et frôlent pour beaucoup la famine, ni pour les otages israéliens, qui sont détenus par le Hamas.

Les négociations pour un cessez-le-feu, déjà difficiles, sont soudainement moins prioritaires, voire compromises. La pression qu’exerçaient plusieurs pays occidentaux sur Israël pour forcer son gouvernement à revoir sa conduite dans la guerre vient de tomber de plusieurs crans devant la nécessité de se serrer les coudes entre alliés.

Des reculs qui devraient nous inquiéter autant que les possibilités d’un élargissement du conflit.