Comme si l’été ne s’annonçait pas déjà assez sportif en France, Emmanuel Macron a décidé d’en rajouter en entraînant son pays dans une élection surprise à la veille des Jeux olympiques de Paris.

« Wow, il a le goût du risque ! », a été la réaction de Frédéric Mérand, professeur de science politique à l’Université de Montréal, lorsque nous avons appris au beau milieu d’une conversation sur les élections européennes que le président français venait tout juste d’annoncer la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections législatives le 30 juin et le 7 juillet.

Il l’a fait avec son sens du spectacle habituel. En s’adressant à ses concitoyens et en les appelant à freiner la montée des « nationalistes » et des « démagogues », un « danger pour notre nation et pour notre Europe ».

Sa prise de parole a eu lieu tout juste quelques minutes après qu’il est devenu clair que le Rassemblement national (RN), porté par sa leader historique, Marine Le Pen, et l’actuel président du parti, Jordan Bardella, 28 ans, est sorti grand vainqueur des élections européennes en France.

On ne parle pas ici d’une avancée, comme ce fut le cas pour plusieurs partis de la mouvance de la droite radicale ou identitaire à travers l’Europe dimanche, mais bien d’une victoire éclatante.

Selon les dernières estimations, le RN a obtenu 31,5 % des votes, soit deux fois plus que Renaissance, la liste liée au président Macron. Au triomphe du Rassemblement national, on doit ajouter plus de 5 % des votes recueillis par Reconquête, la formation d’Éric Zemmour, l’ancien journaliste et polémiste qui appartient aussi à la mouvance de la droite radicale. On frôle donc les deux électeurs sur cinq qui ont confié leur vote à la droite de la droite.

Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il dissous l’Assemblée nationale ? Là est la question à plusieurs milliards d’euros.

Les théories abondent.

Parce qu’il estime que le vote européen est un vote contestataire, mais qu’appelés à s’exprimer dans une élection nationale, les Français seront moins enclins à soutenir les extrêmes, dit Frédéric Mérand, expert de la politique européenne. D’ailleurs, c’est ce que laissait entendre le président français dans son discours, affirmant que sa décision est un « geste de confiance » envers l’électorat français « qui, face à la rudesse des temps, a toujours su résister pour dessiner l’avenir plutôt que de céder aux démagogies ».

La deuxième hypothèse est plus mathématique. Le mode de scrutin à deux tours des élections législatives fonctionne moins bien pour le Rassemblement national que les élections proportionnelles européennes.

« La troisième théorie est plus cynique. Celle-ci serait que Macron accepte que le RN va gagner les élections pendant qu’il est président, mais qu’avant les prochaines élections de 2027, le parti montrera son incompétence. C’est un pari hasardeux », dit M. Mérand, ajoutant que le président français a plus à perdre qu’à gagner dans cette affaire.

Au mieux, il peut espérer retrouver l’Assemblée nationale dans l’état où elle se trouvait au moment de sa dissolution. « Au pire, il sera le président français qui a remis les clés du pouvoir à l’extrême droite », estime le politologue.

Ce serait une bien drôle de médaille à se mettre au cou.

Qu’importe les calculs du président, on ne peut pas nier que les élections ainsi déclenchées ne sont pas une mauvaise nouvelle pour la démocratie. Une occasion d’entendre ce que la population a à dire et de s’assurer que son Parlement lui ressemble. C’est la version naïve, direz-vous, de l’équation, mais elle n’est pas à rejeter du revers de la main, surtout quand une bonne partie des adhérents aux partis de la droite radicale pensent que les élites politiques les ignorent ou, pire, complotent contre eux.

Si les élections européennes nous révèlent une chose, c’est que cette force politique à laquelle on donne de nombreux noms – droite radicale, extrême droite, droite identitaire – est devenue incontournable à travers l’Europe. Qu’elle n’est plus marginale. Dimanche, c’est en Autriche, en Allemagne, en Italie et en France qu’elle a montré qu’elle a le vent dans les voiles.

Et ce vote n’est plus porté par l’électorat traditionnel de l’extrême droite du siècle dernier – peu éduquée et rurale –, mais par une base beaucoup plus large qui transcende les générations et qui se sent interpellée par les thèmes qu’abordent ces partis : l’immigration, l’insécurité et le déclassement du statut de la majorité au sein de la société, qu’il soit réel ou imaginé.

Cependant, il y a une autre tendance des élections européennes qui est passée inaperçue dimanche après l’annonce choc du président Macron. Dans quelques pays, où des partis de la droite radicale ont gouverné ou pris part au gouvernement, ils ont connu des reculs aux urnes. C’est notamment le cas en Pologne, en Suède et en Hongrie.

C’est une chose d’être un parti de la contestation, c’en est une autre de gouverner. Personne ne remporte le décathlon qu’est la démocratie en se contentant de crier dans les estrades.