La « guerre de l’ombre » qui dure depuis 45 ans entre Israël et l’Iran s’est transformée en affrontement direct. Ce dimanche (heure locale), l’Iran a lancé une attaque de drones et de missiles balistiques contre Israël, en réponse à une frappe contre son consulat à Damas, en Syrie. Une escalade de ce conflit qui pourrait se métamorphoser en guerre régionale au Proche et au Moyen-Orient.

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Il s’agit de la première attaque militaire directe de la République islamique d’Iran visant le territoire d’Israël.

Selon l’armée israélienne, l’Iran aurait lancé un essaim de 200 drones, des missiles balistiques et des missiles de croisière, dont la majorité auraient été interceptés. Une base aérienne dans le Néguev aurait toutefois été touchée par les frappes.

Alors même que partaient les missiles, des milices alliées de l’Iran ont lancé leurs propres attaques contre Israël : les houthis yéménites ont lancé des drones en direction du territoire israélien, tandis que le Hezbollah libanais a tiré des roquettes sur le Golan occupé par Israël deux fois en l’espace de quelques heures. La seconde attaque intervient « en riposte aux raids nocturnes israéliens qui ont visé plusieurs villages et localités », a affirmé le Hezbollah dans un communiqué.

Plusieurs détonations ont été entendues dans le ciel à Jérusalem, selon l’Agence France-Presse. Des sirènes d’alerte ont retenti à travers la ville, ainsi que dans la région du Néguev et dans le nord du pays, selon l’armée israélienne.

Une contre-attaque

La mission de l’Iran aux Nations unies a fait savoir sur les réseaux sociaux que son offensive sur le sol israélien était une réponse à la frappe qui a détruit le consulat de l’Iran à Damas, le 1er avril, et fait 16 morts, dont deux officiers supérieurs des gardiens de la révolution, l’armée idéologique de la République islamique.

PHOTO RONEN ZVULUN, REUTERS

Vue du ciel de Jérusalem dans la nuit du 13 au 14 avril

L’Iran a accusé Israël d’être l’auteur de cette frappe, mais ce dernier n’a pas confirmé ou nié en être responsable. « Les Iraniens se sont sentis humiliés et ont décidé pour une rare fois de répliquer à Israël », explique Sami Aoun, spécialiste du Moyen-Orient et membre de la Chaire Raoul-Dandurand.

La mission de l’Iran a affirmé agir conformément à la charte de l’ONU sur la légitime défense et a suggéré que l’impasse avec Israël pourrait prendre fin si l’État hébreu ne contre-attaquait pas.

« La question peut être considérée comme close », a déclaré la mission, ajoutant toutefois que « si le régime israélien commet une nouvelle erreur, la réponse de l’Iran sera beaucoup plus sévère ».

Selon Sami Aoun, la frappe contre le consulat à Damas visait à provoquer l’Iran, qui entretient des liens étroits avec le Hamas, le groupe armé palestinien contre qui Israël livre une guerre sanglante depuis le 7 octobre.

Ni les États-Unis ni les pays occidentaux n’ont condamné publiquement la frappe sur le consulat, dans les jours qui ont suivi. Or, « attaquer une ambassade est hautement inhabituel, et absolument inacceptable au regard du droit international », rappelle le professeur Hani Faris, spécialiste de la politique du Moyen-Orient de l’Université de la Colombie-Britannique.

Les attaques condamnées

Joe Biden a condamné les attaques et réitéré son soutien « inébranlable » à Israël, samedi (heure de Washington). Le président américain a dit, dans un communiqué, qu’il convoquerait ce dimanche ses homologues du G7 pour coordonner une réponse diplomatique à l’attaque « éhontée » de l’Iran.

Justin Trudeau a quant à lui condamné les attaques iraniennes. « Nous soutenons le droit d’Israël de se défendre et de défendre sa population contre ces attaques », a déclaré le premier ministre du Canada.

PHOTO BUREAU DU PREMIER MINISTRE ISRAÉLIEN, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou (au centre) s’entretient à Tel-Aviv avec son cabinet de guerre.

Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a réuni son état-major et ses proches collaborateurs dans une pièce bunkérisée après l’annonce de l’attaque iranienne, selon ses services.

Une métamorphose

De l’avis de Sami Aoun, l’attaque frontale de l’Iran marque un tournant dans le conflit opposant les deux rivaux régionaux.

Cette guerre de l’ombre arrive à une autre étape : celle d’une confrontation directe.

Sami Aoun, spécialiste du Moyen-Orient et membre de la Chaire Raoul-Dandurand

Jusqu’à la révolution islamique de 1979, Israël et l’Iran entretenaient des relations cordiales. Avec la chute du chah d’Iran, cependant, les alliés sont devenus des ennemis jurés. Les deux pays sont entrés dans un conflit indirect, qui a eu cours des décennies durant.

Au Liban, par exemple, l’Iran a parrainé le Hezbollah, un groupe qui mène aujourd’hui encore une lutte armée contre l’État hébreu. En Syrie, pendant la guerre civile, Israël a quant à lui pris pour cible des groupes soutenus par l’Iran.

Ce conflit oppose deux importantes puissances militaires. Les forces armées iraniennes comptent parmi les plus importantes au Moyen-Orient, avec un corps d’au moins 580 000 membres actifs et 200 000 membres de réserve, selon une estimation annuelle de l’Institut international d’études stratégiques (IISS).

Quant à Israël, sa force militaire « est équivalente, voire supérieure à celle de tous les pays arabes réunis », soutient Hani Faris. Selon le professeur, une escalade du conflit entre les deux puissances aurait de graves conséquences. « Si ça arrive, je crains que ça ne cause des dommages immenses au Proche et au Moyen-Orient et sur la paix dans la région. »

Avec la collaboration de Bruno Marcotte, La Presse, l’Agence France-Presse et le New York Times