Fille d’un général chilien tué par le régime Pinochet. Arrêtée et torturée avec sa mère. Opposante politique devenue chirurgienne en exil, puis nommée ministre – de la Défense notamment – lors du retour de la démocratie. Première femme élue présidente au suffrage universel dans un pays d’Amérique latine. Un premier mandat terminé avec une cote de popularité record.

Et ce n’est que le début du curriculum vitae de Michelle Bachelet. Après avoir tenu les rênes d’ONU Femmes, elle a remporté un second mandat à la présidence du Chili en 2014. Après s’être retirée de la vie politique, elle a été nommée à la tête du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, un poste névralgique qu’a aussi occupé la Québécoise Louise Arbour. Et j’en passe.

Il n’y a pas à dire, la biographie de Michelle Bachelet est l’une des plus inspirantes du monde contemporain.

Je suis donc presque tombée en bas de ma chaise quand cette grande dame a prononcé un discours ennuyeux lors de son passage à Montréal la semaine dernière pour souligner les 20 ans du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).

Pourtant, le sujet de la présentation était tout ce qu’il y a de plus pertinent en cette période de montée des autoritarismes : comment lutter pour les droits de la personne dans un monde fragmenté ?

Devant un parterre rempli d’étudiants, de Québécois s’étant illustrés sur la scène mondiale, de professeurs, de diplomates et de mordus d’affaires mondiales, tous avides d’entendre la réponse, ou du moins des pistes de solution, Mme Bachelet a aligné les lieux communs.

Je vous résume ça en un paragraphe : le monde va mal, les démocraties ont du mal à tenir leurs promesses, il y a une rupture de confiance envers les grandes institutions mises en place après la Seconde Guerre mondiale. Nous devons donc garder le cap sur les objectifs des Nations unies de 2030 pour le développement durable, mettre la question du genre au centre du système international, faire respecter le droit international, réformer le Conseil de sécurité des Nations unies, s’attaquer aux changements climatiques et s’intéresser au Sommet de l’avenir de septembre prochain, « qui sera une occasion qui passe seulement une fois dans une génération » pour se reconcentrer sur nos objectifs communs.

Ça ressemblait plus à la liste de souhaits d’un fonctionnaire de l’ONU qui veut garder son emploi qu’aux mots de sagesse d’une femme d’État qui a vu neiger, pleuvoir et venter.

Et c’est pour cette raison précise que je vous parle de ce discours. Car ce qu’il y avait de plus intéressant n’y était pas dit. Ou pas directement.

Ce jour-là, dans le grand hall d’entrée du nouveau campus MIL de l’Université de Montréal, nous avons assisté, selon toute vraisemblance, à un discours de campagne pour le poste de secrétaire générale des Nations unies, poste que quittera António Guterres à la fin de 2026.

Même si nous sommes à deux ans et demi de cette transition de pouvoir, des noms circulent déjà et celui de Michelle Bachelet, qui a une riche expérience au sein des Nations unies autant qu’en politique nationale, est en haut de la liste. D’autant plus qu’on s’attend à ce que le candidat vienne cette fois d’Amérique latine ou des Caraïbes. Ou du moins, du Sud global.

Les autres personnes pressenties ? La première ministre de la Barbade Mia Mottley, la secrétaire mexicaine des Relations extérieures Alicia Bárcena Ibarra, l’ancienne présidente de l’Assemblée générale des Nations unies et ancienne ministre des Affaires étrangères de l’Équateur María Fernanda Espinosa figurent sur la liste des prétendantes à ce poste qu’aucune femme n’a jamais occupé. Une lacune que beaucoup veulent rectifier.

Le nom de Juan Manuel Santos, ancien président de Colombie, lauréat du prix Nobel de la paix qui a travaillé d’arrache-pied pour mettre un terme à la guerre civile dans son pays, est aussi sur bien des lèvres.

Qui nommera le gagnant ? Ce sera un grand jeu de coulisses, mais les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, soit les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Chine et la Russie, auront le dernier mot.

Pour prendre les rênes de l’immense organisation internationale, les aspirants devront rallier tous ces grands acteurs, dont les intérêts sont de plus en plus divergents, voire en concurrence.

Et Michelle Bachelet a plus de travail à faire que tous les autres réunis après sa gestion controversée de la question ouïghoure lorsqu’elle était haute-commissaire aux droits de l’homme. Elle s’est attiré les foudres des États-Unis en étant trop conciliante avec la Chine lors d’une visite officielle dans le pays de Xi Jinping, mais a rendu un rapport critique de l’empire du Milieu quelques minutes avant la fin de son mandat. Le lançant comme une bombe qui allait exploser dans un champ vide.

Aujourd’hui, Michelle Bachelet semble tout faire pour ne pas casser d’œufs. Elle a refusé de rencontrer les journalistes lors de son passage à Montréal. Lors de sa conférence, elle a répondu seulement à des questions qui avaient été préparées à l’avance. Pas de risque, pas de mauvaises surprises.

Juste un triste aperçu du champ miné qu’est en train de devenir la politique internationale et dans lequel même les guerriers les plus expérimentés n’osent plus faire un pas de côté.