La riposte à une riposte peut-elle être le dernier mot dans un échange violent ?

C’est bien ce qu’on espère depuis que des explosions, attribuées par les Américains à Israël, ont fait des étincelles dans le ciel au-dessus de la ville historique d’Ispahan dans la nuit de jeudi à vendredi.

PHOTO WANA, FOURNIE PAR REUTERS

Militaires montant la garde vendredi dans une installation nucléaire à Ispahan, en Iran

L’Iran en a profité pour faire exactement ce que les pays occidentaux avaient suggéré à Israël de faire le week-end dernier lorsque l’Iran a lancé une attaque contre le territoire de l’État hébreu. Les 300 drones et missiles ont alors été interceptés à 99 %. « Take the win ». En d’autres termes (plus francophones) : déclarez victoire et passez à autre chose.

Vendredi donc, l’Iran a fait comme s’il ne s’était rien passé dans ses cieux. Le site de l’agence de nouvelles de la République islamique (IRNA), qui est une fenêtre ouverte sur les positions du régime des ayatollahs, faisait à peine mention de l’incident.

En fait, on y a plutôt mis de l’avant une galerie de photos de civils iraniens jouissant d’une belle journée dans la magnifique Ispahan. Une fillette à trottinette par-ci. Un cycliste qui se prend en photo par-là. Des couples qui relaxent à l’ombre du pont Si-o-se-pol. On est à des années-lumière d’images de guerre et de destruction.

PHOTO RASOUL SHOJAEI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des Iraniens pique-niquent vendredi sous les arches du pont Si-o-se-pol, à Ispahan.

Dans leurs derniers énoncés, les autorités iraniennes démentaient que la centrale nucléaire de Dimona a été endommagée et s’opposaient aux dernières sanctions imposées par les États-Unis. Un genre de retour à la normale.

Professeur au Collège des forces canadiennes de Toronto et expert de la politique étrangère iranienne, Pierre Pahlavi estime même que l’heure est aux tapes dans le dos dans les officines du pouvoir des acteurs impliqués dans l’escalade des tensions des dernières semaines.

PHOTO GIL COHEN-MAGEN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un porte-parole de l’armée israélienne inspecte un missile balistique iranien lancé en Israël dans la nuit du 13 au 14 avril.

« Les Iraniens ont passé leur message à la suite de l’attaque contre leur consulat en Syrie. Ils ont redoré leur blason à l’égard de leurs alliés de l’axe de la résistance (qui inclut le Hezbollah, le Hamas et les houthis). Les Israéliens ont montré leurs capacités à intercepter toute attaque, mais aussi qu’ils sont capables d’atteindre l’Iran s’ils le veulent. Les États-Unis ont pu venir soutenir leur allié israélien, mais ont aussi tempéré leur dernière riposte. La Russie est contente, les Chinois sont contents. La route de la soie peut continuer », expose-t-il. « Tout le monde est content sauf deux-trois Gardiens de la révolution en Iran et le ministre de l’Intérieur d’Israël. »

Juchés sur la lisière d’une guerre régionale, les belligérants semblent donc avoir pris un pas de recul pour s’éloigner du précipice, mais les soupirs de soulagement risquent d’être de bien courte durée.

L’Iran et Israël sont impliqués dans une guerre de l’ombre depuis près de 20 ans et cette dernière reprendra son cours.

D’un côté, l’Iran soutient des alliés au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen, qui, eux, donnent du fil à retordre à Israël et à son allié américain dans la région. De l’autre, Israël mène des attaques contre des cibles iraniennes dans la région, dont en Syrie. « Il y a des bombardements presque toutes les semaines », relève Rachad Antonius, professeur de sociologie à l’UQAM et auteur de plusieurs livres sur la région. Il rappelle aussi la série d’assassinats de scientifiques nucléaires sur le sol iranien, attribuée à Israël entre 2010 et 2020.

PHOTO AHMAD GHARABLI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Vue de Jérusalem, en Israël

Une guerre des nerfs des deux côtés, donc, visant à ne pas laisser l’État ennemi prendre trop ses aises dans la région.

On oublie trop souvent que l’Iran et Israël ont déjà été de grands amis. En 1949, l’Iran a été le deuxième pays musulman après la Turquie à reconnaître l’État d’Israël au moment de sa création. Côte à côte, les deux pays ont aussi longtemps été les deux piliers principaux de la présence américaine au Moyen-Orient, note Vahid Yücesoy, candidat au doctorat en science politique et chercheur affilié au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.

La première rupture a eu lieu lors de la chute de régime du chah et lors de l’avènement de la République islamique. Le régime des ayatollahs s’est vite présenté comme le principal frein à la domination américaine du Moyen-Orient et, du coup, de son allié israélien. Pour les fidèles du régime, il est devenu de bon ton de hurler « à mort les États-Unis, à mort Israël » lors des grandes manifestations.

PHOTO OMAR SANADIKI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Début avril, un raid imputé à Israël a visé la section consulaire de l’ambassade d’Iran à Damas, en Syrie.

D’abord ancrée dans la rhétorique, la haine entre les deux camps a cependant monté de plusieurs crans après la guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006, estime Pierre Pahlavi. La guerre asymétrique et le programme nucléaire iranien sont depuis au cœur de la discorde. L’accroissement du pouvoir de l’Iran dans la région après la chute de Saddam Hussein n’est pas étranger non plus à l’intensification des hostilités.

Aujourd’hui, chaque État voit l’autre comme une menace existentielle. Et dans ce contexte, les étincelles peuvent vite se transformer en incendie. « Le risque d’escalade involontaire reste très grand », note Marie-Joëlle Zahar, professeure de science politique à l’Université de Montréal. « Ça ne prendrait qu’un commandant qui prend une décision qui va trop loin pour que ça dégénère », note la spécialiste des règlements de conflit.

Il suffirait que l’une des deux parties s’entête à avoir le dernier mot.