Ancien ambassadeur du Canada en Syrie, Glenn Davidson a immédiatement reconnu le lieu ciblé lundi par six missiles israéliens au cœur de Damas. « De mon bureau de l’époque, j’aurais eu une vue sans entrave », m’a dit le diplomate à la retraite, joint chez lui à Halifax.

Jusqu’en 2012, l’ambassade du Canada à Damas était située sur l’autoroute de Mazzeh et était la voisine immédiate de l’ambassade d’Iran qui a été complètement oblitérée cette semaine. Selon les autorités iraniennes, qui promettent de se venger pour cette attaque, six Syriens et sept Iraniens ont péri lundi. Parmi eux se trouvaient deux commandants de la Force Al-Qods, l’unité d’élite des Gardiens de la révolution. Ce corps paramilitaire iranien fait la pluie et, surtout, le mauvais temps en Iran et dans la région.

« J’ai d’abord été surpris à l’égard d’une pareille attaque sur une cible diplomatique avec des conséquences potentiellement dangereuses pour la région, m’a confié François Larochelle, lui aussi un ancien diplomate. Après vérification que cette attaque avait bien eu lieu à côté de l’ambassade [du Canada], j’ai eu une bouffée nostalgique pour mon affectation fascinante en Syrie. C’était une époque pleine d’espoir », dit celui qui est aujourd’hui fellow à l’Institut d’études internationales de Montréal de l’UQAM.

C’est d’ailleurs M. Larochelle, qui a été envoyé en Syrie de 1990 à 1993, qui m’a signalé la proximité entre le lieu de l’attaque et l’ancienne représentation canadienne dans le pays du Proche-Orient. Il a reconnu l’édifice dans une vidéo mise en ligne sur lapresse.ca et dans laquelle on voit clairement l’ambassade – de couleur grise – à droite des ruines fumantes de l’ambassade d’Iran.

Voir la vidéo du raid israélien sur l’ambassade d’Iran

François Larochelle était là le jour où l’ambassade a ouvert ses portes, au début des années 1990. À l’époque, un vent de renouveau soufflait sur le Proche-Orient. La terrible guerre qui a dévasté le Liban, voisin de la Syrie, a pris fin en 1990. Des négociations entre Israéliens et Palestiniens ont mené aux accords d’Oslo en 1993. Le Canada jouait un rôle dans le maintien de la paix sur le plateau du Golan, une zone qui se trouve à la frontière entre la Syrie et Israël. La Syrie, dirigée par Hafez al-Assad, en menait large. « Il jouait à la fois le rôle de pyromane et de pompier dans la région », se souvient François Larochelle.

À l’époque, l’ambassade était une ruche avec des sections politiques et commerciales. On y gérait aussi les demandes d’immigration des Syriens, des Libanais et des Iraniens.

La vie n’y était pas pour autant un grand fleuve tranquille. De 1990 à 1991, le toit de l’ambassade permettait d’observer les missiles Scud que l’Irak de Saddam Hussein faisait pleuvoir sur Israël pendant la première guerre du Golfe à laquelle participait une coalition de 35 pays, dirigée par les États-Unis. Le Canada était du compte.

Après les attentats du 11-Septembre, le rôle du Canada en Syrie s’est retrouvé sous les projecteurs quand Maher Arar, citoyen canadien d’origine syrienne, a été emprisonné et torturé dans son pays d’origine à la demande des États-Unis. En 2007, à la suite d’une commission d’enquête, le gouvernement canadien s’est excusé pour son rôle dans cette affaire et a versé à M. Arar un dédommagement de 10,5 millions de dollars.

Cependant, c’est après le début du Printemps arabe en 2011 que la relation diplomatique canado-syrienne, établie dans les années 1960, a commencé à s’étioler. « Quand je suis arrivé dans le pays en 2008, c’était un peu une lune de miel, se souvient Glenn Davidson. Les gens découvraient la Syrie. L’accueil était chaleureux et c’était très sécuritaire. On pouvait voyager dans tout le pays. Le régime avait un large soutien dans le pays et il y avait beaucoup d’intérêt pour Bachar al-Assad et sa femme, parce qu’ils semblaient avoir des idées plus progressistes [que le père de Bachar]. Mais c’était illusoire. On a vite découvert que la seule chose qui comptait pour le régime, c’était de se maintenir au pouvoir », raconte l’ex-ambassadeur qui a assisté au début de la descente aux enfers de la Syrie. La répression des manifestations, les emprisonnements massifs et le début d’une guerre civile qui, depuis, a fait des centaines de milliers de morts et forcé des millions de personnes à se mettre à l’abri.

PHOTO LOUAI BESHARA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des secouristes fouillent les décombres d’un bâtiment annexé à l’ambassade d’Iran au lendemain d’une attaque aérienne à Damas. À gauche, on peut apercevoir l’immeuble où se trouvait l’ambassade du Canada en Syrie.

Glenn Davidson n’est pas resté pour tout ça. En 2011, le Canada a commencé à évacuer son personnel. En 2012, le gouvernement a décidé de fermer l’ambassade. « J’ai descendu le drapeau et j’ai mis la clé dans la porte, se souvient l’ancien ambassadeur. Ça a été un moment très émotif. Nous avions un grand personnel syrien fantastique à l’ambassade », dit-il, piqué lui aussi par une pointe de nostalgie.

Ces jours-ci, le Canada, de concert avec les Pays-Bas, combat le régime syrien devant la Cour internationale de justice, l’accusant de violer la convention internationale sur la torture.

On peut difficilement imaginer comment le pays pourrait à nouveau avoir pignon sur rue à Damas, toujours sous le contrôle de Bachar al-Assad. L’édifice de l’ambassade, que le Canada louait, a été abandonné en même temps que les liens avec le régime du dictateur. Quelques mois après le retrait de Syrie, le Canada a aussi fermé son ambassade en Iran.

La frappe israélienne au cœur de Damas aura inopinément remis en lumière les décombres des relations diplomatiques dans la région.