Quand on couvre les affaires internationales, on est souvent appelé à rencontrer des diplomates. Ces entretiens cordiaux nous aident souvent à ouvrir des portes dans le pays d’intérêt. Ma dernière rencontre avec un diplomate chinois au Canada a été tout le contraire.

Lors d’une entrevue dans le consulat de Chine à Montréal en août 2022, l’ambassadeur Cong Peiwu n’a pas levé le ton, mais ses mots étaient aussi tranchants que des couteaux.

À l’égard de Taïwan. À l’égard des critiques adressées à la Chine sur les droits de la personne. Au sujet du Canada qui devait « avoir appris des leçons » à la suite de l’emprisonnement arbitraire de deux de ses citoyens pour répliquer à la détention de Meng Wanzhou, fille du fondateur du géant Huawei, à la demande des États-Unis.

Quand, à la fin de cet entretien malaisant, on m’a demandé de quitter rapido presto l’enceinte du consulat pour attendre un taxi dans la rue, je me suis dit que je venais de me frotter à la version « loup guerrier » de la diplomatie chinoise. Une approche adoptée en 2017 sous Xi Jinping qui se caractérise par un style combatif, sur le mode de la confrontation. Comme le héros des films d’action chinois qui a donné son nom à cette tactique des relations internationales, les « loups guerriers » défendent bec et ongles leur pays et le Parti communiste chinois contre toute critique.

Ou, devrait-on dire, défendaient ?

Depuis l’été dernier, de nombreux experts notent que la Chine de Xi Jinping a amorcé un virage. Le loup guerrier en chef, Zhao Lijian, anciennement porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a été soudainement muté à un autre département. Le ministre Qin Gang, lui, a littéralement disparu du jour au lendemain.

Et l’ambassadeur Cong Peiwu ?

On apprenait le mois dernier que l’ambassadeur, qui était au Canada pendant la majorité de l’affaire Wanzhou, est parti du Canada sans tournée d’adieu d’usage.

Quelques jours avant qu’on apprenne son départ, il a accordé une entrevue à La Presse Canadienne dans laquelle il estimait qu’il n’y avait pas de raison pour que les relations canado-chinoises soient aussi mauvaises, mais édictait des conditions pour qu’elles s’améliorent. Parmi celles-ci, que le Canada accepte tous les torts pour les tensions diplomatiques entre les deux pays et qu’au nom du « respect mutuel », le Canada se range au point de vue de la Chine sur Taïwan, l’île autogouvernée démocratique que Xi Jinping menace de ramener de force dans le giron de la Chine continentale. Deux grosses couleuvres à avaler, même si le ton est un peu plus conciliant.

Il faudra voir maintenant par qui le gouvernement chinois va le remplacer. Un diplomate plus diplomate ou un expert du tordage de bras ?

La bonne nouvelle, c’est que les derniers mois nous laissent entrevoir des éclaircies dans un ciel qui se veut orageux entre la Chine et l’Occident.

PHOTO MARK SCHIEFELBEIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

La semaine dernière, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a rencontré Xi Jinping, à Pékin.

D’abord, à Pékin, les chefs d’État et les poignées de mains se multiplient. La semaine dernière, Xi Jinping a reçu le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, dix jours après avoir reçu le chancelier allemand, Olaf Scholz, qui lui-même a succédé à Emmanuel Macron.

Mardi, le président français et le président chinois iront pratiquer l’escalade ensemble dans les Pyrénées, marquant la première visite de Xi Jinping en Europe depuis la pandémie.

Pour le Canada, c’est un peu plus compliqué, mais la ministre Mélanie Joly s’est entretenue deux fois avec son homologue chinois, Wang Yi, depuis le début de l’année. Les 18 et 19 avril, son sous-ministre, David Morrison, s’est rendu à Pékin pour discuter avec son vis-à-vis, Ma Zhaoxu. J’ai contacté Affaires mondiales Canada pour en savoir plus sur les résultats de sa mission, mais le service de presse a mis deux jours pour finalement ne pas me donner de réponse.

Dans les cercles d’affaires, qui pâtissent de l’état boiteux des relations sino-canadiennes, on espère que ces rencontres ne sont que le début d’un rapprochement. « Rétablir les canaux de communication est une première étape pour une normalisation des affaires. On ne s’attend pas à ce que la Chine et le Canada redeviennent les meilleurs amis du monde du jour au lendemain, mais avoir une relation diplomatique stable va aider les entreprises qui veulent opérer dans la deuxième plus grande économie au monde », m’a dit David Perez-Desrosiers, du Conseil d’affaires Canada-Chine, alors qu’il s’apprêtait à s’envoler pour Pékin, d’où il dirigera le bureau de l’organisation.

Étrangement, les échanges commerciaux ont peu été affectés par la crise diplomatique entre Ottawa et Pékin. On note même une augmentation des exportations canadiennes vers l’empire du Milieu au cours des dernières années. « Les échanges Canada-Chine, c’est 40 % de nos échanges dans l’Indo-Pacifique, mais ça représente seulement 4 % de nos exportations, dit M. Perez-Desrosiers. Il y a encore énormément de place à la croissance. »

Même si le ton de la Chine s’adoucit un peu ces jours-ci, il reste un océan de rancœur et de doléances entre les deux pays. La Chine n’a pas aimé qu’on parle d’elle comme d’une force « perturbatrice » dans la stratégie indo-pacifique canadienne. Le Canada contemple ces jours-ci l’étendue de l’ingérence du pays de Xi Jinping dans les élections de 2019 et de 2021.

Doit-on parler aussi des postes de police clandestins au Canada pour surveiller la diaspora chinoise ou encore de l’expulsion de diplomates de part et d’autre ?

« Le Canada est dans une position de demandeur en ce moment », note l’ancien ambassadeur du Canada en Chine Guy Saint-Jacques. « Cela dit, la ministre Mélanie Joly n’aura peut-être qu’une demi-génuflexion à faire. Les Chinois ont besoin de capitaux étrangers », croit-il. Le ralentissement économique en Chine – marqué notamment par un fort taux de chômage chez les 16-24 ans – n’est pas étranger au changement de cap de la diplomatie chinoise.

Tant mieux si les loups guerriers desserrent les dents. Cependant, le Canada sait plus que la plupart des pays qu’il devra renouer les liens avec prudence. Un loup reste un loup.

Rectificatif :
La version originale de ce texte a été modifiée pour corriger l’épellation de trois noms, soit ceux de Zhao Lijian (et non pas Lijang), de Wang Yi (et non pas Wong) et de Qin Gang (et non pas Jang). Nos excuses.