Huit bombes. C’est ce que j’ai pu compter jeudi lors d’une conversation par messagerie audio avec le docteur Mohammed Abu Mughaisib, de Médecins sans frontières, joint dans la bande de Gaza.

Des explosions assez fortes et assez proches pour masquer des parties de notre échange d’une vingtaine de minutes. La trame sonore de l’opération militaire israélienne qui a débuté à Rafah, dans le sud de l’enclave palestinienne, où se trouve le docteur Mughaisib.

Jusqu’au 6 mai, Rafah était l’un des derniers endroits où les civils palestiniens pouvaient fuir pour se mettre à l’abri. Aujourd’hui, sur le million de personnes qui s’y trouvent, une centaine de milliers, sommées d’évacuer par les autorités israéliennes, essaient de fuir la ville refuge pour trouver un autre semblant d’abri dans une zone qu’on leur dit sécuritaire, mais qui ne l’est pas. On n’y trouve ni toit, ni denrées de base, ni eau, ni garantie de ne pas recevoir une bombe sur la tête.

« Les gens évacuent comme ils peuvent. Certains sont dans leur auto avec tout ce qu’ils possèdent. Des matelas, des oreillers, des couvertures. Il y en a qui sont stationnés dans la rue et tentent de planter leur tente. D’autres sont carrément à la rue avec leurs effets personnels. J’en ai vu pleurer. Ils sont en plein traumatisme. Ils demandent de l’aide. On voit un mélange de dépression, d’anxiété, de peur », raconte le médecin palestinien.

Originaire de la ville de Gaza, dans le nord du territoire palestinien, il a lui-même dû se déplacer quatre fois depuis le début de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza à la suite de l’attentat du Hamas du 7 octobre dernier en Israël. « Je suis plus chanceux que la majorité. Ma famille a pu évacuer vers l’Égypte en février. Je n’ai pas à veiller sur elle », dit-il, en se comparant à un ami de la famille, avec de jeunes enfants, qui l’a appelé en pleurs cette semaine, incapable de trouver un toit pour les siens. Le dépouillement total.

Ces jours-ci, la situation est aggravée par la fermeture des deux postes-frontières qui mènent à Rafah et par lesquels aucune aide humanitaire ne passe depuis trois jours, décrit le docteur Mughaisib.

Il n’y avait pas assez de biens essentiels qui se rendaient à nous avant la fermeture. Là, on est presque à court de carburant. C’est complètement fou.

Le docteur Mohammed Abu Mughaisib, de Médecins sans frontières

Pendant ce temps, les agences de presse rapportent que les tanks israéliens se massent près de Rafah, laissant croire qu’une opération terrestre de grande envergure s’en vient. Malgré les avertissements et les dénonciations qui émanent depuis des semaines d’absolument partout dans le monde. Des pays arabes, de l’Europe, de la Russie, de la Chine, du Canada. On craint le pire pour la population déjà acculée au mur.

Même Joe Biden a causé la surprise mercredi en affirmant que les États-Unis « ne fourniront pas les armes » pour une invasion militaire de Rafah.

Le président a aussi annoncé qu’il avait mis un frein à l’envoi de bombes vers Israël, un changement de cap notable tout juste deux semaines après que le Congrès eut accepté d’envoyer 25,4 milliards d’aide à Israël.

Cette rebuffade ne semble pas inciter le gouvernement israélien à faire un pas de côté. Le ministre de la Sécurité nationale, le politicien d’extrême droite Itamar Ben-Gvir, a répliqué en écrivant sur X que « Biden aime le Hamas ». Dans un discours marquant le jour de commémoration de l’Holocauste, le premier ministre Benyamin Nétanyahou a dit qu’« aucune pression ne va empêcher Israël de se défendre ». On n’est pas dans l’examen de conscience.

Malgré cette fin de non-recevoir d’Israël, le milieu humanitaire continue de demander aux gouvernements occidentaux d’en faire plus pour inciter les deux belligérants à conclure un accord de cessez-le-feu.

Conseillère régionale d’Humanité & Inclusion au Moyen-Orient, Mara Bernasconi était de passage à Ottawa jeudi pour rencontrer des acteurs politiques, dont le ministre du Développement international du Canada, Ahmed Hussen.

« Le Canada a déjà demandé un cessez-le-feu comme beaucoup d’autres États, mais sa demande peut être plus appuyée. C’est le moment de se faire entendre », dit celle qui revient tout juste d’une visite en Cisjordanie.

À Rafah, la population appelle de tous ses vœux cet arrêt des combats, mais ne fait plus confiance à la communauté internationale, dit Mohammed Abu Mughaisib. « Ils ont perdu leur maison, leur famille, leur vie personnelle et sociale. Ils ont tout perdu ! En sept mois, il y a eu près de 35 000 morts1 et 70 % sont des femmes et des enfants. Les hôpitaux sont presque tous détruits ou endommagés. Que reste-t-il à expliquer ? C’est le temps de mettre fin à ce génocide », laisse-t-il tomber.

Pour sa part, il ne compte pas fuir Rafah. Malgré les bombes. Malgré l’opération militaire qui risque de prendre de l’ampleur. Malgré le désespoir qui l’entoure. Il va rester pour soigner ceux qui resteront aussi derrière. « Je ne me déplacerai pas pour la cinquième fois. C’est assez ! »

1. Selon le ministère de la Santé de Gaza, sous le contrôle du Hamas. Pour sa part, le gouvernement israélien estime que 1200 personnes sont mortes dans les attentats du Hamas du 7 octobre.