Si les championnats du monde de gymnastique acrobatique se tenaient en Israël cette semaine comme prévu originalement, il n’y aurait pas que des athlètes sur le podium. Le gouvernement américain, qui pratique les arts de la contorsion, de l’équilibrisme et du grand écart dans son approche concernant le conflit entre l'État hébreu et le Hamas, aurait de sérieuses chances de remporter une médaille.

La dernière semaine en fait foi.

Lundi, lors d’un vote au Conseil de sécurité, les États-Unis se sont abstenus, permettant ainsi aux 14 autres membres du plus puissant des organes onusiens de demander d’une seule voix un « cessez-le-feu immédiat pour le mois du ramadan… menant à un cessez-le-feu durable » dans la bande de Gaza. Le tout, trois jours après que sa propre mouture – avec une formulation plus douce – a été rejetée par la Chine et la Russie.

L’évènement a fait les manchettes du monde entier. Et pour cause. En moins de six mois, l’administration Biden a utilisé son veto à trois reprises pour bloquer des initiatives semblables, au grand dam de plusieurs de ses alliés, dont la France.

À l’unisson, les commentateurs ont vu dans l’abstention américaine soudaine une évolution marquée de la position du pays, voire un changement de cap, notamment devant l’aggravation de la crise humanitaire dans l’enclave palestinienne.

En Israël, le premier ministre Benyamin Nétanyahou, furieux, a annulé une mission qui devait se rendre à Washington et a accusé les États-Unis d’avoir sapé les négociations avec le Hamas en restant sur les lignes de côté.

À la Maison-Blanche, le son de cloche était tout autre. L’encre sur le texte de la résolution n’était pas encore sèche que déjà, des ténors de l’équipe de Joe Biden multipliaient les bémols. En conférence de presse, le porte-parole du secrétariat d’État, Matthew Miller, a répété à plusieurs reprises que la résolution est « non contraignante » et ne change en rien la position américaine. Membre du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, John Kirby a repris le même message.

Voilà une bien drôle d’interprétation de la Charte des Nations unies qui régit le Conseil de sécurité. C’est justement parce que les résolutions qu’il adopte sont majoritairement contraignantes que ce club restreint de pays – dont cinq grandes puissances nucléaires – revêt une telle importance.

S’il s’agissait seulement d’envoyer un message « non contraignant » aux parties au conflit, la communauté internationale aurait pu se contenter du vote de l’Assemblée générale du 12 décembre dernier. Ce jour-là, 153 des 193 États membres se sont prononcés pour un « cessez-le-feu humanitaire immédiat ». Les États-Unis et Israël étaient parmi les 10 pays qui ont voté contre.

Pourquoi les États-Unis font-ils aujourd’hui des contorsions pour soutenir le nouveau consensus au sein du Conseil de sécurité tout en remettant en cause son poids juridique ? Pour taper sur les doigts de son allié israélien tout en annonçant publiquement qu’il n’est pas question de lui forcer la main.

« Si Israël ne se conforme pas à la décision du Conseil de sécurité, ce dernier peut prendre d’autres mesures pour faire respecter sa résolution, comme imposer des sanctions. Dans ce cas, les États-Unis pourraient s’y opposer », explique, de La Haye, Annie Lagueux, juriste spécialisée en droit international et fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).

Que les porte-parole de la Maison-Blanche le reconnaissent ou pas, il est clair que le soutien américain au gouvernement Nétanyahou et à la guerre qu’il mène dans l’enclave palestinienne n’est plus ce qu’il était au début : inconditionnel.

Quand Joe Biden a annoncé que les États-Unis allaient livrer de l’aide par voie aérienne et par voie maritime aux civils au bord de la famine dans le nord de Gaza, il a envoyé un signal très clair à Israël. Quand la vice-présidente Kamala Harris a reçu le ministre Benny Gantz à Washington – un rival politique de Nétanyahou – sans l’assentiment du premier ministre israélien, la fissure est devenue encore plus évidente.

Mais ce n’est qu’une fissure, pas une brisure. S’il s’inquiète ouvertement des souffrances des millions de civils palestiniens qui ont été déracinés par les bombardements, le gouvernement américain continue de financer l’armée israélienne. Et de lui fournir des armes, contrairement au Canada – un beaucoup plus petit joueur – dont la décision de suspendre les transferts d’armes vers Israël a été largement saluée par le milieu humanitaire.

Le gouvernement américain ne cesse pas non plus d’être le principal allié du gouvernement de l’État hébreu lors des négociations en cours, par pays interposés, avec le Hamas pour arriver à la libération des otages que détient toujours le mouvement islamiste, responsable des attentats meurtriers du 7 octobre en Israël.

Ce grand écart s’explique en grande partie par l’approche de l’élection présidentielle en novembre. Joe Biden tente à la fois de contenter sa gauche – qui lui reproche de fermer les yeux sur les dérapages de l’allié israélien dans sa conduite de la guerre – et sa droite, qui insiste sur le droit d’Israël à se défendre et sur la nécessité de venir à bout du Hamas, coûte que coûte.

Il marche sur un fil de fer.

Pour le moment, cet équilibrisme n’a les effets escomptés ni aux États-Unis ni au Moyen-Orient.

Chez lui, Joe Biden est toujours à la traîne de son rival républicain, Donald Trump, dans les sondages. Au Moyen-Orient, l’ambivalence américaine édente la réponse internationale au moment où des centaines de milliers de civils palestiniens sont au bord du précipice. Sans filet.