(Ottawa) Israël a été fortement condamné – entre autres par le Canada – pour la frappe qui a tué sept travailleurs humanitaires de l’ONG américaine World Central Kitchen, à l’heure où la famine menace Gaza, selon l’ONU. Parmi les victimes se trouve un employé canado-américain de 33 ans, Jacob Flickinger, a annoncé l’organisme, mardi.

Ce qu’il faut savoir

Encore sept travailleurs humanitaires ont été tués par l’armée israélienne.

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a déclaré qu’il s’agit d’une frappe « non intentionnelle ».

L’ONU, qui avait déjà recensé 196 victimes parmi les travailleurs humanitaires œuvrant à Gaza au 20 mars, ne croit pas à la thèse de l’incident isolé.

De nombreux pays, dont le Canada, ont condamné l’attaque.

« Ceci n’est pas une attaque contre la World Central Kitchen. C’est une attaque contre les organisations internationales qui interviennent dans les situations les plus désespérées, où la nourriture est utilisée comme arme de guerre. C’est impardonnable », a déclaré Erin Gore, PDG de l’organisme, par voie de communiqué, au sujet de l’attaque survenue dans la nuit de lundi à mardi.

La World Central Kitchen a indiqué que son équipe se déplaçait à bord de deux voitures blindées marquées de son logo et d’un autre véhicule. « Bien que nos mouvements aient été coordonnés avec l’armée israélienne, le convoi a été attaqué alors qu’il partait de l’entrepôt de Dier el-Balah, où l’équipe avait déchargé plus de 100 tonnes d’aide alimentaire […]. »

Dans une déclaration vidéo mardi, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a déclaré, sans nommer la World Central Kitchen, que des « innocents » ont été touchés par une frappe « non intentionnelle » de l’armée.

« Cela arrive en temps de guerre, nous étudions cela attentivement, nous sommes en contact avec les gouvernements [des victimes] et nous ferons tout pour que ça ne se reproduise plus », a ajouté le premier ministre.

« Absolument inacceptable », dit Justin Trudeau

Justin Trudeau, premier ministre du Canada, a dit qu’il est « absolument inacceptable que les travailleurs humanitaires aient été tués par les forces israéliennes », ajoutant que ce drame met en lumière la nécessité « d’un cessez-le-feu pour pouvoir éviter les morts d’innocents ».

Sur le réseau X, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a dit être « horrifiée ».

Nous condamnons ces frappes et demandons une enquête complète. Le Canada s’attend à ce que les responsables de ces meurtres rendent des comptes.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a réclamé mardi une enquête « rapide et impartiale » des autorités israéliennes.

« C’est complètement inacceptable », a déclaré Anthony Albanese, premier ministre de l’Australie, d’où était originaire un des travailleurs humanitaires.

Il a ajouté que « c’est une tragédie qui n’aurait jamais dû se produire » et que l’Australie « chercherait à établir les responsabilités » de l’attaque.

Martin Griffiths, chef de bureau des affaires humanitaires de l’ONU, a indiqué sur X qu’il est « indigné par le meurtre » des travailleurs humanitaires.

« Ce sont des héros qui ont été tués alors qu’ils essayaient de nourrir des gens affamés, a-t-il aussi dit. […] Toutes ces discussions autour de cessez-le-feu et encore une fois, la guerre nous prive des meilleurs d’entre nous. Les actions de ceux qui en sont responsables sont indéfendables. Cela doit cesser. »

Pas un incident isolé, note l’ONU

Dans une déclaration écrite, Jamie McGoldrick, le plus haut responsable de l’ONU pour la coordination de l’aide humanitaire en territoire palestinien occupé, a souligné que la mort des sept travailleurs humanitaires « n’est pas un incident isolé. En date du 20 mars, au moins 196 travailleurs humanitaires ont été tués » à Gaza.

« Cela est près de trois fois plus que dans tout autre conflit au cours d’une année », a-t-il précisé.

PHOTO SAID KHATIB, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des proches de l’une des victimes de la frappe israélienne contre un convoi de l’ONG World Central Kitchen pleurent sa disparition.

Aux yeux de François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires et professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, aucun doute : on est ici en présence de violation des droits de la guerre et d’un pattern de l’armée israélienne.

Les élus canadiens doivent maintenant, selon lui, poser expressément au premier ministre Benyamin Nétanyahou et aux autres politiciens la question suivante : « L’armée israélienne est-elle encore sous contrôle ? »

Des soldats « agissent-ils pour se venger [des attaques] du 7 octobre ou selon les règles de la guerre ? », demande aussi M. Audet.

Environ 250 personnes ont été enlevées et emmenées à Gaza durant l’attaque du Hamas le 7 octobre, qui a entraîné la mort de 1160 personnes, en majorité des civils, selon un décompte de l’Agence France-Presse réalisé à partir de données officielles israéliennes. Des viols auraient aussi été commis.

D’après les autorités israéliennes, 130 otages seraient encore détenus à Gaza, parmi lesquels 34 sont estimés morts.

Près de 33 000 personnes, dont des milliers d’enfants, ont été tuées depuis le début de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza, a indiqué à l’AFP le ministère de la Santé du Hamas. Le 29 février, l’ONU a évoqué plus de 30 000 victimes et plus de 70 000 blessés.

En février, Israël a publié une liste de 12 employés de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) qui, selon le gouvernement, auraient « participé activement » aux attaques du 7 octobre.

Après ces allégations, le Canada, comme 14 autres pays donateurs, avait arrêté de verser de l’argent à cet organisme, et l’ONU avait ouvert une enquête.

« Profondément préoccupé par la situation catastrophique à Gaza », Justin Trudeau a annoncé en mars que, comme d’autres pays, le Canada allait rétablir son aide à l’UNRWA. Mardi, c’était au tour du Japon de reprendre ses paiements.

Dimanche, a rapporté l’Associated Press, des dizaines de milliers d’Israéliens se sont rassemblés devant le parlement à Jérusalem. Il s’agit de la plus grande manifestation antigouvernementale depuis l’entrée en guerre du pays, en octobre. Les manifestants ont réclamé un accord de cessez-le-feu pour libérer les otages israéliens toujours détenus et ont réclamé des élections hâtives.

En soirée mardi, des familles d’otages et des opposants au gouvernement se sont dirigés vers la maison privée de Benyamin Nétanyahou, a rapporté le quotidien Times of Israel.