Benyamin Nétanyahou, le premier ministre d’Israël, est le roi toutes catégories confondues des risques politiques.

Il en avait pris un immense en 2015 quand il s’était présenté au Congrès américain pour s’opposer à la négociation d’une entente entre les États-Unis et l’Iran – l’ennemi juré de l’État hébreu sur le nucléaire.

À l’invitation des républicains et sans l’approbation de Barack Obama, le politicien israélien avait prononcé un discours à Washington dans lequel il incitait les élus à bloquer le projet du président américain. Un acte de défiance sans précédent pour un dignitaire étranger sur le sol américain. « Un bâton dans l’œil du président », avait alors dit un élu démocrate.

PHOTO J. SCOTT APPLEWHITE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Benyamin Nétanyahou devant le Congrès des États-Unis, le 3 mars 2015

Deux mois plus tard, l’entente nucléaire voyait le jour. Les relations entre la Maison-Blanche, les démocrates et le premier ministre israélien étaient au plus bas.

Heureusement pour Bibi – le surnom de M. Nétanyahou – les élections américaines de 2016 ont mis fin à son purgatoire diplomatique.

Quand il est arrivé au pouvoir à Washington, Donald Trump a fait voler en éclats l’accord avec Téhéran. Bibi a remporté une manche.

Pas le match.

Cette semaine, l’administration Biden lui a en quelque sorte rendu la monnaie de sa pièce. Lundi et mardi, sans l’approbation du premier ministre israélien, la Maison-Blanche a reçu Benny Gantz, un ministre de son cabinet de guerre, mais aussi un de ses principaux rivaux politiques.

PHOTO BRENDAN SMIALOWSKI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Benny Gantz (cravate rouge), du cabinet de guerre israélien, quitte la Maison-Blanche après sa rencontre avec la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, le 4 mars.

M. Gantz a rencontré la vice-présidente Kamala Harris, le secrétaire d’État Antony Blinken ainsi que le chef du Pentagone. Il s’est ensuite envolé pour Londres, où il a aussi eu droit à un tête-à-tête avec le ministre des Affaires étrangères. Toujours au nez et à la barbe de Bibi.

Et comme si le message n’était pas assez clair, le président américain n’a pas manqué d’en rajouter une couche lors de son discours sur l’état de l’Union, déplorant l’attitude du gouvernement israélien à l’égard du désastre humanitaire dans la bande de Gaza, où les Nations unies redoutent une famine généralisée en plus de décrier les bombardements incessants qui ont tué des dizaines de milliers de civils.

« Au leadership d’Israël : l’aide humanitaire ne peut pas être une considération secondaire ou une monnaie d’échange dans des négociations. Protéger et sauver des vies innocentes doit être une priorité », a dit Joe Biden dans son adresse à la nation, tout en annonçant que les États-Unis vont construire un quai flottant pour faciliter la livraison « de nourriture, d’eau, de médicaments et d’abris ». Une décision qui va au moins symboliquement à l’encontre du blocus terrestre, aérien et maritime qu’Israël a imposé dans le territoire palestinien depuis 2007 et renforcé après les attentats du Hamas du 7 octobre dernier.

Et la semaine horribilis de Benyamin Nétanyahou ne se termine pas là. Ça va aussi de mal en pis en Israël pour celui qui est à la tête du gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays.

Déjà critiqué pour les failles de sécurité qui ont rendu possibles les attentats du Hamas, il vient de recevoir une nouvelle brique sur la tête. Un rapport d’enquête sur une bousculade qui a causé la mort de 45 Juifs orthodoxes au Mont Meron en avril 2021 conclut que le premier ministre peut être tenu « personnellement responsable ».

PHOTO RONEN ZVULUN, ARCHIVES REUTERS

Juifs orthodoxes sur les lieux de la bousculade mortelle d’avril 2021 au Mont Meron

« Sa popularité est en chute libre, mais il continue et va de l’avant sans présenter d’excuses », note Gil Troy, professeur d’histoire à l’Université McGill, joint en Israël. Son parti politique, le Likoud, ne cesse lui aussi de dégringoler dans les sondages. « Le résultat, c’est qu’Israël a en ce moment un leader qui a perdu à la fois sa crédibilité à l’international et à la maison », conclut M. Troy.

Ce désaveu généralisé du premier ministre israélien changera-t-il pour autant la trajectoire de la guerre à Gaza ? Rien n’est moins sûr. « Il y a un consensus en Israël, c’est que Nétanyahou doit partir, mais que la guerre est la bonne », affirme Mairav Zonszein, analyste au International Crisis Group, une organisation spécialisée dans la résolution de conflit.

PHOTO LEO CORREA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Manifestation contre le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, à Tel-Aviv, le 2 mars

Et qu’en est-il à Washington ? Le président américain a beau prendre ses distances du chef du gouvernement, de plus en plus radioactif, et prévoir de nouvelles manières de faire parvenir des vivres à Gaza, son pays est toujours en voie d’envoyer 10 milliards US d’aide militaire additionnelle à Israël. « L’approche des États-Unis par rapport à la guerre n’a pas changé. Le soutien est à la fois politique, diplomatique et militaire, mais Joe Biden, qui est en année électorale, sait que ça peut lui coûter cher politiquement », dit Mme Zonszein, jointe à Tel-Aviv.

Pour Washington, Benny Gantz semble être un interlocuteur plus présentable que Benyamin Nétanyahou, d’autant plus que ce dernier rejette sans ambages l’idée de la création d’un État palestinien.

PHOTO EYAD BABA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des centaines de milliers de Palestiniens ont trouvé refuge à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, depuis le début de la guerre.

Cependant, les opinions de M. Gantz sur la guerre, note l’analyste, ne divergent pas beaucoup. Ce dernier croit notamment qu’une intervention militaire à Rafah est souhaitable pour déloger le Hamas, malgré les inquiétudes de la communauté internationale à l’égard du million de Palestiniens qui y a trouvé refuge. M. Gantz démontre tout au plus davantage de flexibilité à l’égard des mesures humanitaires à mettre en place pour atténuer les effets d’une intervention.

Cela dit, la peur d’un autre carnage demeure. Même si Washington largue Bibi.