« Inapte à diriger les Nations unies. » « Apologiste du terrorisme. » « En pleine perte de moralité et d’impartialité. »

L’ambassadeur d’Israël aux Nations unies ainsi que certains ministres israéliens n’y sont pas allés de main morte il y a bientôt deux semaines après que le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a prononcé un discours sur l’actuel conflit entre Israël et le Hamas devant le Conseil de sécurité.

Et tout ça pour avoir dit qu’il était « important de reconnaître que les attaques du Hamas ne se sont pas produites en dehors de tout contexte » et rappelé que le peuple palestinien « subit depuis 56 ans une occupation étouffante ». Il a immédiatement ajouté que malgré ce contexte, les doléances des Palestiniens ne pouvaient justifier les attentats terroristes du Hamas, pas plus que ces attaques horribles ne pouvaient légitimer la « punition collective des Palestiniens ».

Si sa prise de parole du 24 octobre a fait bondir le gouvernement israélien, elle a aussi été applaudie ailleurs dans le monde et relayée sur les réseaux sociaux. Beaucoup ont loué son courage pour avoir été le premier leader issu d’un pays occidental à élargir la discussion sur l’actuel chapitre du conflit entre Israël et le Hamas.

Comment a réagi le secrétaire général à la controverse ? En passant à autre chose. Le patron du Secrétariat général des Nations unies, qui compte plus de 40 000 employés, a beaucoup d’autres chats à fouetter en ce moment. Il vient tout juste de terminer une visite au Népal pour rendre compte des impacts des changements climatiques, de participer à une séance sur les droits de la personne et l’intelligence artificielle, tout en continuant de dénoncer l’intensification de la guerre au Proche-Orient.

António Guterres n’en est pas à sa première joute diplomatico-politique. Ni à sa première gestion de crise. Le Portugais a 23 ans quand il décide de faire une croix sur un début de carrière universitaire pour se lancer en politique. À 25 ans, alors que le Portugal se débarrasse de la dictature lors de la révolution des Œillets, il monte dans les rangs du Parti socialiste. En 1976, il devient député et occupera le poste pendant deux décennies avant de devenir premier ministre de son pays.

Parmi ses réalisations, on reconnaît au politicien de centre gauche l’établissement d’un revenu minimum garanti et la création du Conseil portugais pour les réfugiés.

En 2002, António Guterres quitte la politique dans le but de mener une carrière diplomatique internationale. Il est nommé haut-commissaire des Nations unies aux réfugiés (HCR) en 2005 et sera aux commandes lors de la crise des réfugiés syriens en 2015.

C’est notamment son rôle au HCR en ces années difficiles ainsi que les réformes qu’il y a menées pour abolir des postes au siège social et en créer sur le terrain qui lui ont valu d’être choisi secrétaire général des Nations unies en 2017 à vitesse grand V, alors qu’on s’attendait à ce que le poste revienne à une femme, de préférence d’Europe de l’Est. Certains lui reprochent d’avoir pactisé avec la Russie et la Chine pour en arriver à ses fins.

« On ne peut pas dire cependant qu’il est arrivé à un bon moment à la tête des Nations unies », note Jean-Philippe Thérien, professeur de science politique de l’Université de Montréal et expert des organisations internationales. « En 2017, Donald Trump venait d’accéder à la présidence des États-Unis. Il y a ensuite eu la pandémie, la guerre en Ukraine, l’économie qui ne rebondit pas, et maintenant, la guerre au Moyen-Orient. »

Les trois priorités d’António Guterres, soit les changements climatiques, la révolution technologique et la mobilité humaine, ont dû se trouver une place à travers les crises incessantes.

Ex-haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, la Québécoise Louise Arbour a côtoyé António Guterres à Genève avant de le retrouver à New York, où il lui a confié le poste de représentante spéciale des Nations unies sur la migration. « C’est quelqu’un de très intelligent avec une grande connaissance de ses dossiers et une pensée politique très sophistiquée, m’a-t-elle dit au téléphone. Il vient du monde politique et comprend les rapports de forces. »

Tous les secrétaires généraux des Nations unies n’ont pas été taillés dans la même étoffe. Kofi Annan, originaire du Ghana, était un diplomate onusien de carrière qui a gravi les échelons jusqu’à en atteindre la cime. Ban Ki-moon, de Corée du Sud, était lui aussi un diplomate de carrière qui a occupé le poste de ministre des Affaires étrangères de son pays avant de faire le saut aux Nations unies.

« Je le trouve audacieux, et pas juste sur la question de Gaza, dit François Audet, directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal à l’UQAM. J’ai rarement retweeté un secrétaire général, et ça m’arrive souvent [avec António Guterres]. Il défend les normes internationales et doit souvent se mettre de grandes puissances à dos », dit le professeur, en rappelant aussi qu’António Guterres a été l’un des premiers à parler de l’illégalité de l’invasion russe en Ukraine. « C’est important qu’il soit le gardien du droit international, et ce, même s’il n’a pas de moyens coercitifs à sa portée et doit composer avec la politique onusienne », ajoute M. Audet.

Est-ce assez dans un monde en pleine mutation et où la menace d’internationalisation des conflits est réelle ? « On ne peut pas dire qu’il a eu de grandes réussites depuis qu’il est secrétaire général. Son prédécesseur avait réussi à faire adopter l’accord de Paris sur les changements climatiques et les Objectifs de développement durable », dit Jean-Philippe Thérien. Idem au Proche-Orient, où le secrétaire général n’a pas encore réussi à obtenir une trêve humanitaire ou l’établissement d’un corridor pour assurer la livraison efficace de l’aide à la population de Gaza.

Et qu’en est-il de ses prises de position sur le conflit israélo-palestinien, qui détonnent avec ce qui se dit dans les chancelleries occidentales ? Elles peuvent avoir un impact sur l’opinion publique mondiale, qui, à son tour, peut susciter des changements de politiques dans certains pays, dit Jean-Philippe Thérien. « Notamment en France, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, note-t-il. À ce moment-là, le contexte serait plus favorable pour que M. Guterres gagne en influence. »

Pour qu’il devienne une boussole morale qui fait tourner le vent.

António Guterres en quelques dates clés

1949 : António Manuel de Oliveira Guterres naît à Parede, au Portugal, près de Lisbonne.

1971 : Il obtient un diplôme de l’Instituto Superior Técnico, école de génie de Lisbonne.

1974 : Il devient membre du Parti socialiste et se joint rapidement au leadership alors que le Portugal rompt avec la dictature.

1976 : Il est élu député pour la première fois.

1995 : Il devient premier ministre du Portugal et le demeurera jusqu’en 2002.

2005 : Il est nommé haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés et sera en poste pendant la crise de l’été 2015.

2017 : Il est nommé secrétaire général des Nations unies, succédant à Ban Ki-moon à la tête de l’organisation internationale.