Comme une bouteille à la mer, Abdallah*, un employé de Save the Children dans la bande de Gaza, a envoyé un message vocal à ses collègues.

« J’ai atteint un tel degré de peur que je ne ressens plus rien, dit-il sur un ton d’un calme singulier. Je ne sais pas si ce message se rendra à vous. »

Le Gazaoui décrit en quelques phrases son monde écroulé. Lui, son fils de 2 ans et d’autres proches entassés dans la même pièce dans le sud de la bande de Gaza, où ils se sont réfugiés.

Au moment d’enregistrer le message, il était incapable de joindre quiconque dans le reste de la bande de Gaza ou à l’extérieur, Israël ayant coupé toutes les communications pendant 36 heures. « La seule chose qui fonctionne, c’est la radio, témoigne-t-il. Il n’y a pas d’eau, pas d’essence, pas de nourriture […]. Évidemment, au début, quand toutes les communications ont été coupées, le nombre de bombardements était grand, très grand, complètement fou », détaille-t-il dans le message que ses collègues ont finalement reçu dimanche.

Le Gazaoui et sa famille sont sains et saufs, mais leurs amis, qui se trouvaient dans l’édifice juste à côté du leur, n’ont pas eu cette chance. Ils sont morts dans les bombardements pendant le même black-out israélien, rapporte Danny Glenwright, le président et directeur général de Save the Children Canada, joint mardi.

M. Glenwright, qui dort collé à son cellulaire, craignant l’arrivée de mauvaises nouvelles à tout moment, est beaucoup moins calme au téléphone qu’Abdallah dans son enregistrement. « Beaucoup de choses terribles se sont produites à Gaza dans le passé, mais rien ne se compare à ce que nous voyons en ce moment. C’est une catastrophe absolue et nous ne pouvons pas rester les bras croisés », me dit-il à la fin de notre conversation.

Il vient tout juste de passer 20 minutes à décrire l’ampleur de la crise qui frappe tous les civils, mais a des effets dévastateurs pour le million d’enfants qui vivent dans l’enclave, plus petite que l’île de Montréal et dont ils ne peuvent pas s’enfuir. En date du 31 octobre, le ministère de la Santé de Gaza estimait que 3542 enfants palestiniens avaient été tués depuis le début des bombardements israéliens il y a trois semaines, soit plus que dans tous les conflits du monde réunis en 2022. « C’est un enfant qui meurt toutes les 10 minutes à Gaza », tonne Danny Glenwright.

Fait-il confiance aux statistiques publiées par ce ministère, contrôlées par le Hamas et reprises dans les rapports des Nations unies ? « Je ne peux pas penser à un seul conflit où les chiffres des Nations unies et des autorités sanitaires ont été remis en cause. Nous avons utilisé les chiffres fournis par le ministère de la Santé de Gaza lors des conflits précédents, et chaque fois, après la fin des hostilités, nous avons constaté qu’ils étaient exacts », me dit-il. L’accès à Gaza étant bouclé, il n’est pas possible de contre-vérifier l’information.

En fait, nous pensons qu’il y a encore plus d’enfants qui sont sous les décombres. Plus de 45 % des édifices résidentiels ont été détruits ou endommagés.

Danny Glenwright, le président et directeur général de Save the Children Canada

Privés de carburants par le blocus israélien, sans aucune trêve dans les bombardements et les combats, les travailleurs humanitaires – dont les 25 qui travaillent directement pour Save the Children en plus de 17 partenaires locaux – ne savent plus où donner de la tête, explique M. Glenwright.

La machinerie lourde qui devrait permettre de bouger les gravats pour libérer les civils pris au piège est immobilisée. « Il n’y a plus d’essence dans les autos, alors nos employés à Gaza transportent ce qu’ils peuvent sur leur dos », donne-t-il en guise d’exemple. Les charrettes tirées par des ânes ont aussi repris du service.

L’aide humanitaire, elle, continue à entrer au compte-gouttes depuis les attentats terroristes perpétrés par le Hamas en Israël le 7 octobre, tuant 1400 personnes et en enlevant près de 250 autres. En tout, 217 camions d’aide ont pu traverser la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza depuis le 21 octobre. « Le niveau d’aide humanitaire qui a pu rentrer dans la bande de Gaza à ce point est complètement inadéquat et n’est pas proportionnel aux besoins de la population », a dit le secrétaire général des Nations unies le 31 octobre.

Mercredi, quelques dizaines de malades ont été évacués vers l’Égypte pour la première fois, mais il reste des milliers d’autres blessés entassés dans des hôpitaux qui manquent de tout.

En plus d’avoir de la difficulté à faire leur travail, les travailleurs humanitaires, comme Abdallah, doivent aussi mettre leur famille à l’abri et s’assurer de leur procurer l’essentiel. Dans son enregistrement, le travailleur humanitaire gazaoui explique qu’il a attendu quatre heures pour mettre la main sur un poulet. Une évidence il y a trois semaines, un luxe aujourd’hui.

La maison d’Ahmed*, un autre employé de Save the Children, a été endommagée par les bombardements. Il a fait part de son désarroi à ses collègues. « Dans ces moments, on sent qu’il n’y a pas de différence entre la vie et la mort et qu’on est mieux de tous rester dans la même pièce afin de tous mourir ensemble, et s’assurer que personne ne reste derrière pour porter le deuil des autres », a-t-il écrit.

Danny Glenwright, au nom de Save the Children, demande un cessez-le-feu immédiat. Pas une pause humanitaire, comme le plaide le gouvernement Trudeau, mais un arrêt complet des hostilités. C’est aussi la requête de 630 organisations à travers le monde, dont 130 au Canada. « Sinon, ce qui se passe dans la bande de Gaza va nous hanter à jamais », croit-il.

* Par mesure de sécurité, Save the Children ne dévoile pas le nom de famille de ses employés.