Depuis les attentats terroristes du 7 octobre perpétrés par le Hamas, la grogne contre le premier ministre Benyamin Nétanyahou ne cesse de prendre de l’ampleur en Israël. Près de 80 % des participants à un récent sondage estiment qu’il est partiellement responsable des terribles évènements qui ont fait 1400 morts du côté israélien. Trois sondés sur cinq veulent qu’il donne sa démission après la guerre. Est-ce la fin du règne de ce félin politique à neuf vies ?

La question n’est pas banale. On a souvent prédit le crépuscule du roi Bibi, comme le surnomment ses concitoyens. En dépit d’un florilège de controverses, le politicien de droite a façonné plus que quiconque la scène politique israélienne des deux dernières décennies. « Personne n’est jamais devenu riche en pariant contre Bibi ! », rit au téléphone Gil Troy, joint à Jérusalem.

Cet expert de la pensée sioniste et de l’histoire présidentielle américaine vient tout juste d’écrire une lettre ouverte dans le Jerusalem Post, une publication conservatrice. Il demande à Benyamin Nétanyahou d’annoncer aujourd’hui qu’il va donner sa démission bientôt. Comme l’a fait Lyndon B. Johnson dans les années 1960. Pour le bien de l’État israélien.

Gil Troy note que la confiance est rompue depuis l’échec monumental des renseignements israéliens à la veille des attentats du 7 octobre et la réponse tardive des forces de sécurité pendant que les combattants du Hamas massacraient des civils.

« C’est le legs au complet de Benyamin Nétanyahou qui est en jeu. Il a publié ses mémoires récemment et c’était assez triomphant. S’il était parti plus tôt, on se souviendrait de lui comme l’architecte de la prospérité israélienne, une nation de startup. Comme d’un homme de stabilité qui croit à un Israël fort. Mais là, monsieur Sécurité est devenu monsieur Insécurité. Monsieur Stabilité est devenu monsieur Instabilité », dit-il, notant que le Bibi d’aujourd’hui, obsédé par sa propre survie politique, n’est plus celui d’antan. « C’est un homme petit, en colère, démagogue, qui, au lieu de construire Israël, le détruit. C’est le temps qu’il parte », souligne l’historien, qui est loin d’être un opposant naturel de l’actuel premier ministre.

L’histoire de Benyamin Nétanyahou est intrinsèquement liée à l’histoire d’Israël et à l’émergence de sa droite politique.

Né à Tel-Aviv un an à peine après la création de l’État d’Israël, Benyamin Nétanyahou a été élevé dans un foyer sioniste – croyant à l’établissement d’un État juif en Palestine. Son père, un historien conservateur, voyait le monde comme une menace sans fin pour le peuple juif.

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L’historien Bension Nétanyahou, sa femme Tzila et leurs fils Benyamin et Yonathan

Dans cette conception du monde, il est nécessaire de « sauver le peuple juif d’un monde sans merci et rempli de démons », décrit le journaliste Ari Shavit, auteur de My Promised Land, dans un documentaire-fleuve consacré à Benyamin Nétanyahou par la chaîne américaine PBS.

On y souligne que Bibi a passé une bonne partie de son enfance aux États-Unis, mais sans jamais tourner le dos à Israël. En 1967, il a manqué la collation des grades de son école secondaire de Philadelphie pour aller combattre dans l’armée israélienne pendant la guerre des Six Jours.

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Benyamin Nétanyahou au moment de s’enrôler dans l’armée israélienne, lors de la guerre des Six Jours, en 1967

Intégré dans une unité de forces spéciales, il a gagné ses épaulettes en participant à une opération pour libérer les otages d’un avion détourné par l’Organisation de la libération de la Palestine (OLP) en 1972.

Quatre ans plus tard, son frère aîné Yonathan, commandant des forces spéciales, est mort en héros lors d’une mission similaire.

C’est cependant aux États-Unis, où il a fait des études universitaires au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et à Harvard, que Bibi a entamé sa carrière politique. Après avoir défendu l’État d’Israël et l’occupation des territoires palestiniens lors de débats télévisés, il a été nommé représentant du pays aux Nations unies.

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Benyamin Nétanyahou, en 1985, alors qu’il était représentant d’Israël aux Nations unies

À l’époque déjà, il s’opposait à l’idée qu’un État palestinien soit établi à côté de l’État d’Israël, estimant que cette cohabitation, loin de mener à la paix, mènerait à plus de guerres. Un point de vue qu’il conserve à ce jour, selon Anshel Pfeffer, auteur de sa biographie non autorisée, Bibi.

La seule paix qu’il a été prêt à considérer est celle dans laquelle Israël intimide les Palestiniens jusqu’à la soumission.

Anshel Pfeffer, auteur d’une biographie non autorisée de Benyamin Nétanyahou

C’est d’ailleurs l’échec des accords d’Oslo de 1993 – qui prévoyaient la création d’un État palestinien – ainsi qu’une série d’attentats terroristes, majoritairement perpétrés par le Hamas, qui ont ouvert la voie de l’ascension politique de Benyamin Nétanyahou. En 1996, à la tête du Likoud, il est devenu premier ministre pour la première fois. Il avait 46 ans.

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Benyamin Nétanyahou célèbre les résultats des élections de 1996, qui lui permettront de devenir premier ministre d’Israël pour la première fois.

Réélu à répétition, il est aujourd’hui le politicien qui a occupé le siège du chef du gouvernement israélien le plus longtemps – 16 ans à ce jour –, soit plus que David Ben Gourion, premier premier ministre d’Israël. Pour reprendre le pouvoir en décembre dernier – en dépit du fait qu’il fait face à des accusations de fraude et de pots-de-vin devant la justice israélienne –, il a accepté de créer un gouvernement de coalition avec des partis d’extrême droite.

Avant même les attentats du 7 octobre, il vivait un mandat houleux. Les Israéliens sont descendus dans les rues par centaines de milliers pour dénoncer une réforme de la justice jugée antidémocratique.

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Manifestation contre la réforme judiciaire du gouvernement de Benyamin Nétanyahou, à Tel-Aviv, en février 2023

Qu’est-ce qui explique, malgré tout, la longévité de Bibi, en politique israélienne, mais aussi sur la scène internationale, où il jouit du soutien du président américain et de la plupart des leaders occidentaux ? « D’abord, il y a eu l’effritement de la gauche israélienne après l’échec des accords d’Oslo. Deuxièmement, la phobie des islamistes en Occident après les attentats du 11-Septembre l’a aidé aussi. Ça va de pair avec son discours qui dit qu’on ne peut pas négocier avec ces gens-là, et ce, même s’il y a eu des ententes avec le Hamas dans le passé », note Marie-Joëlle Zahar, professeure de science politique à l’Université de Montréal.

Journaliste d’enquête israélien, Uri Blau ajoute que le politicien de droite réussit depuis longtemps à diviser pour régner. « Israël a une scène politique très hétéroclite. Du premier jour, son modus operandi a toujours été de jouer un groupe contre l’autre. Les laïcs contre les religieux. Les Juifs sépharades (originaires d’Afrique du Nord) contre les Juifs ashkénazes (originaires d’Europe de l’Est). Il a fait la même chose avec le Hamas, dont il a facilité la croissance au détriment de l’Autorité palestinienne, avec qui il ne voulait pas faire affaire, dit le journaliste. C’est ça qui vient de lui sauter au visage. »

Dans un discours à la nation israélienne cette semaine, Benyamin Nétanyahou a affirmé qu’il sera prêt à examiner son rôle dans les évènements du 7 octobre après avoir mené une guerre sans merci au Hamas. Une guerre pour la « survie d’Israël », dit-il.

Est-ce que ce sera suffisant, aux yeux des électeurs israéliens, pour réparer sa couronne cassée ? Sera-t-il ostracisé par la communauté internationale, qui, si elle compatit avec les Israéliens à la suite des horreurs commises par le Hamas, s’inquiète de plus en plus du sort réservé aux civils palestiniens sous les bombes dans la bande de Gaza ?

Ses soutiens sont fragiles. Même des généraux de l’armée israélienne estiment qu’il est temps que le roi Bibi cède sa place. « Nétanyahou pense qu’il est au-dessus de Dieu, il pense qu’il est le sauveur d’Israël et malheureusement, nous n’avons pas réussi à lui expliquer que c’est le contraire. Qu’il est le destructeur d’Israël et que ses affaires personnelles l’amènent à gouverner pour son propre bénéfice et pas celui du pays », a dit il y a quelques jours le général Dan Halutz, ancien chef d’état-major des Forces de défense israéliennes, lors d’une entrevue avec le Guardian.

La côte à remonter semble plus qu’abrupte.

Benyamin Nétanyahou – une chronologie

  • 1949 : Benyamin Nétanyahou naît à Tel-Aviv le 21 octobre.
  • 1967 : Après neuf ans aux États-Unis avec sa famille, il rejoint les Forces de défense israéliennes et est intégré à Sayeret Matkal, une unité de forces spéciales.
  • 1976 : Le frère aîné de Benyamin, Yonathan (Yoni), commandant des forces spéciales de l’armée israélienne, meurt en service au cours d’une opération à Entebbe au moment où Benyamin termine ses études au Massachusetts Institute of Technology (MIT).
  • 1984 : Il devient le représentant permanent d’Israël aux Nations unies.
  • 1993 : Cinq ans après son retour en Israël, il est élu chef du Likoud (parti conservateur) et devient chef de l’opposition.
  • 1996 : Il est élu premier ministre à 46 ans et restera en poste jusqu’en 1999.
  • 2009 : Après avoir servi comme ministre des Affaires étrangères sous Ariel Sharon, il est élu premier ministre à nouveau et restera dans ce fauteuil pendant 12 ans.
  • 2019 : Il est accusé de fraude, de pots-de-vin et d’abus de confiance devant la justice israélienne.
  • 2022 : Après une entente avec des partis d’extrême droite et de la droite radicale, il redevient premier ministre en décembre.