Ici, d’apprentis cuisiniers en insertion socioprofessionnelle nourrissent chaque jour 200 personnes en situation de précarité. Depuis deux semaines, ils aimeraient aussi cuisiner pour vous. Vous qui faites l’épicerie avec une calculatrice à la main, qui êtes aux études ou qui avez simplement trop de broue dans le toupet.

Je ne connaissais pas le Resto Plateau jusqu’à ce que son équipe m’invite à y dîner, il y a quelques jours. L’organisme existe pourtant depuis 30 ans...

« Il y a des gens qui sont sans boulot et il y en a qui mangent mal. Qu’est-ce qu’on peut faire ? On n’a qu’à former des gens en cuisine et nourrir les autres avec ce qu’ils préparent ! »

Audrey Mougenot, directrice-générale de l’organisme, en résume tout bonnement la mission. Mais derrière cette apparente simplicité se cachent beaucoup de détails délicats.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Audrey Mougenot, directrice-générale du Resto Plateau

Chaque année, 96 personnes en démarche d’insertion socioprofessionnelle bénéficient de sept mois de formation au Resto Plateau. Non seulement elles s’initient au travail d’aide-cuisinier, mais aussi elles sont vues par des intervenants psychosociaux pour parler de tout ce qui pourrait poser un frein à leur employabilité : gestion du stress, troubles de l’humeur, de toxicomanie, de comportement ou de logement, etc.

Ça dépasse l’école de cuisine, on s’entend.

Ce soutien est toutefois nécessaire.

Certains apprentis sont nouvellement arrivés au Québec ; d’autres n’ont pas travaillé depuis longtemps à cause d’un manque de confiance en eux, d’une blessure ou d’habitudes de consommation ; certains sortent du milieu carcéral ; d’autres doivent gagner en responsabilisation. Bref, tous ont des défis particuliers.

La bonne nouvelle, c’est qu’environ 60 % d’entre eux trouveront un emploi dans les trois premiers mois suivant leur formation.

Ce midi, ils sont une quinzaine à s’activer dans la cuisine, épaulés par chefs et sous-chefs. On peut facilement les observer, de la salle à manger bondée. Environ 200 personnes sont venues dîner. La majorité d’entre elles sont en situation de précarité ou d’isolement social...

Pourtant, l’ambiance est à la fête. Ça parle fort, ça rit, ça prend des nouvelles.

Du lundi au vendredi, le Resto Plateau propose deux choix de repas complet – un végétarien et un avec viande – au coût de 4,75 $. Les personnes qui ont les moyens de payer davantage peuvent débourser le « montant solidaire » de 7 $ pour soutenir l’initiative communautaire.

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Gaëlle Descary, directrice communautaire et des communications

Je remarque qu’autour de moi, beaucoup de gens mettent la moitié de leur nourriture dans des plats pour emporter. Il faut dire que les portions sont très généreuses. « On sait que pour certains, c’est le seul repas de la journée », m’explique Gaëlle Descary, directrice communautaire et des communications.

Maintenant, l’équipe veut aussi servir les personnes qui mangent plus régulièrement. Depuis le 23 janvier, le Resto Plateau ouvre donc ses portes les lundis et mercredis, de 16 h 30 à 18 h 30, pour offrir des plats à emporter dont le prix oscille entre 3,50 $ et 4,50 $ (ajoutez un dollar pour le prix solidaire).

On le sait, de plus en plus de travailleurs peinent à bien se nourrir. Ils sont bien entendu visés par cette initiative, mais l’équipe pense aussi aux étudiants dont le budget est serré et à ces parents qui préparent les repas à la course. Sans oublier les personnes qui ne savent tout simplement pas cuisiner ou qui n’ont pas accès à des aliments sains.

On sait que c’est un outil nécessaire, mais on doit travailler à le faire connaître. Plusieurs personnes n’ont jamais eu à s’inquiéter de remplir leur assiette, jusqu’à tout récemment. Celles-là ignorent les ressources qui s’offrent à elles.

Gaëlle Descary, directrice communautaire et des communications du Resto Plateau

« Ou alors elles se disent que ce n’est que pour les gens en extrême pauvreté, ajoute-t-elle. Mais tout le monde peut avoir de la difficulté à bien s’alimenter ! »

Et donc, tout le monde a droit à de l’aide.

« J’aime dire aux travailleurs en formation qu’ils viennent ici pour s’aider, mais qu’en plus, ils aident les gens qui fréquentent le resto », résume Audrey Mougenot.

Elle me présente d’ailleurs Jean-Marie Giguère, 61 ans, en formation depuis six mois. Une blessure l’a tenu loin du travail pendant des années. C’est le Resto Plateau qui lui assure le nouvel élan dont il avait besoin.

« Je pense que c’est la seule job de ma vie où je suis content de rentrer chaque matin. »

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Jean-Marie Giguère

Jean-Marie rêve de travailler dans la cafétéria d’un CHSLD à la fin de son parcours d’insertion. En attendant, il est fier de pouvoir réaliser à peu près n’importe quelle recette. Il sait maintenant ce qu’est une maryse et comment sabler autre chose qu’un mur, qu’il me dit, tout sourire…

Tandis que Jean-Marie retourne en cuisine, Karene-Isabelle Jean-Baptiste, la photographe qui m’accompagne, réfléchit à voix haute : « C’est la force de la communauté qui se déploie, ici. Ça me rappelle le concept de troisième lieu. Ce n’est ni la maison ni le travail, mais un autre endroit où les gens peuvent se retrouver... »

Elle est brillante.

Le tiers-lieu est un concept développé par le sociologue Ray Oldenburg dans son livre The Great Good Place (1989). Il s’agit d’un endroit important pour les individus qui y trouvent l’occasion de se rassembler de manière informelle. Une maison hors de la maison.

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Micheline Girard

Et c’est exactement ce que le Resto Plateau représente pour Micheline Girard. Depuis 2006, la retraitée de 78 ans dîne ici tous les jours ou presque. C’est qu’elle est parfois prise dans une rencontre au Centre des femmes de Verdun ou une manifestation pour le droit au logement.

Sur le plan culinaire, les repas préparés par Jean-Marie et ses collègues la comblent. Sur le plan social, elle retrouve quotidiennement des gens devenus sa famille.

« Qu’aimeriez-vous dire pour inviter le public à découvrir les mets à emporter, Micheline ?

— On a fait beaucoup de cuisine dans notre vie. C’est le temps de se donner un petit break ! »

Militante et excellente vendeuse, ma foi...

Consultez le site du Resto Plateau