Sous le chapiteau, une quinzaine de personnes s’activent à l’abri d’un soleil automnal brûlant. La tâche est physique… On parle quand même de quatre tonnes de chou.

« Il y a des familles, des bums, des moins bums et des professionnels qui ont besoin de sortir de la ville pour une journée », me répond Julien Clot, quand je lui demande de dresser le portrait des bénévoles que je croiserai au fil de la journée. S’ils ont un profil varié, tous entretiennent une passion pour le vivant.

Ça sonne hippie ? Ce l’est. Et c’est parfait.

Les Célébrations du kimchi sont une initiative de SymbiOse AlimenTerre, l’entreprise spécialisée en fermentation artisanale fondée par Julien Clot. Depuis huit ans, chaque automne, l’équipe se dépose pendant quelques jours dans cinq villes du Québec. Une centaine de bénévoles l’y rejoignent pour concocter kimchi et choucroute.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le kimchi, mets traditionnel coréen à base de légumes lactofermentés

(Parenthèses pour les non-initiés : le kimchi est un mets traditionnel coréen à base de légumes lactofermentés. La lactofermentation, elle, est une méthode de conservation basée sur la production d’acide lactique. Le résultat final soutient la flore intestinale en plus d’être délicieux.)

Je profite d’un samedi après-midi magnifique pour participer à la première Célébration de la saison, à Mont-Tremblant. On est plusieurs à avoir eu la même bonne idée…

« Ça nous fait un effet de levier, m’explique Julien Clot : les bénévoles travaillent en échange de choucroute et de kimchi, ce qui nous permet de dégager une valeur à redonner aux producteurs. Au lieu d’acheter en gros des choux bios à 45 cennes la livre, on donne 1,10 $ la livre au producteur. Ça fait une méchante différence, au bout du compte ! Et ça crée des étincelles, les évènements comme aujourd’hui… »

Je peux en témoigner.

Je commence mon labeur en coupant des oignons avec trois autres bénévoles. Cinq minutes plus tard, nous voilà en train de parler de nos problèmes d’attachement, de nos traumas amoureux et de notre définition d’une saine sexualité.

« C’est le meilleur balado que j’ai jamais entendu », affirme un participant posté un peu plus loin.

Louis Béchard, bras droit de Julien Clot, m’avait prévenue d’emblée : « C’est un évènement social incroyable qui donne lieu à de belles discussions. » C’est si vrai que j’hésite, quand il m’invite à tester une autre station de travail… Je suis bien avec mes nouveaux amis et nos oignons.

Je finis par le suivre, impressionnée par ses connaissances (et ses bonnes histoires).

  • Des bénévoles mettent la main au… chou. Cette photo et les suivantes ont été prises lors de la Célébration du kimchi aux Éboulements, dans Charlevoix, début octobre.

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

    Des bénévoles mettent la main au… chou. Cette photo et les suivantes ont été prises lors de la Célébration du kimchi aux Éboulements, dans Charlevoix, début octobre.

  • Il faut râper le chou… beaucoup de chou !

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

    Il faut râper le chou… beaucoup de chou !

  • Une belle récolte !

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

    Une belle récolte !

  • L’évènement offre aussi un cadre propice aux échanges.

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

    L’évènement offre aussi un cadre propice aux échanges.

  • Curcuma et gingembre entrent notamment dans la confection de la pâte.

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

    Curcuma et gingembre entrent notamment dans la confection de la pâte.

  • Il y a aussi beaucoup de gousses d’ail à préparer.

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

    Il y a aussi beaucoup de gousses d’ail à préparer.

  • Le tir du chou, un sport méconnu mais amusant !

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

    Le tir du chou, un sport méconnu mais amusant !

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Fermentation humaine

Je découvre que le processus est divisé en plusieurs corvées. Il faut récolter les choux au Jardin cent pépins, à un kilomètre de la Cabane à tuque, où nous sommes installés. On doit ensuite les laver et les tailler ; une tâche dont hérite naturellement André Pelrine, doyen des bénévoles. L’homme de 85 ans participe chaque année à la Célébration de Mont-Tremblant. « Personne ne l’accote, il faut être quatre pour le suivre ! », me glisse Simon Meloche Goulet, propriétaire des lieux.

Il faut ensuite râper environ quatre tonnes de chou avec de larges râpes à quatre lames (j’en suis encore raquée) ; préparer la pâte d’oignon, ail, curcuma et gingembre (seuls les deux derniers ingrédients ne sont pas locaux) ; nettoyer et trancher les daïkons avec des râpes que je trouve terrifiantes (mais qui sont sécuritaires) ; mélanger le tout ; ajouter le sel (nécessaire à la lactofermentation) ; masser la mixture jusqu’à ce qu’elle dégorge suffisamment (ce que les habitués appellent la « machouthérapie ») ; la mettre en baril ; et la pilonner avec un immense bâton de bois (une étape qui défoule et épuise, selon mon expérience).

À chaque poste de travail, je tombe sous le charme d’une nouvelle personne. Je suis entourée de trippeux de 20 à 85 ans. Autour de nous, des enfants jouent. L’après-midi est doux.

« Au-delà de la fermentation du chou, il y a la fermentation humaine, résume le bénévole Mathieu Bélanger avec un sourire en coin. Les gens se jumellent et des discussions émergent. Il y a le temps, l’espace et l’harmonie pour le faire… »

Satya Larouche en est comme moi à sa première Célébration du kimchi. Elle souhaitait apprendre à conserver des aliments et elle tenait à le faire en gang : « C’est une question d’interdépendance. Être autonome seule et s’asseoir sur cette richesse, ça ne sert à rien. C’est le partage qui nous rend résilients. »

Cette idée est collée à la mission de Julien Clot. Chaque jour, la bande de SymbiOse offre un atelier de lactofermentation aux nouveaux participants et tous repartent avec la recette de son excellent kimchi doré, question de pouvoir la réaliser à la maison.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Julien Clot

Le jour où tout le monde fera son kimchi, on aura gagné. On est une entreprise régénérative. On prend soin des capitaux nourriciers que sont la nature, les humains, le sens commun, puis les mœurs et coutumes. Tant mieux si les communautés s’organisent éventuellement sans nous !

Julien Clot

Il semble sincère.

Cette année, on devrait produire 14 tonnes de lactofermentation, si les prochaines Célébrations du kimchi – à Sainte-Catherine-de-Hatley et à Mont-Saint-Grégoire, après celles qui ont eu lieu aux Éboulements, dans Charlevoix, et à Saint-Adrien, en Estrie – se déroulent comme prévu. Les recettes passeront un mois et demi en chambre froide avant d’être prêtes à la consommation. Entre 10 et 15 % du lot sera remis aux bénévoles et le reste, réparti dans de nombreux points de vente.

En attendant, je reprends la route plus fatiguée qu’à mon arrivée, mais plus souriante aussi. Mes doigts tachés de curcuma tiennent le volant, tandis que je m’extasie devant les montagnes rougeoyantes. Je réalise que je viens de toucher à quelque chose qui me manquait sans que je le sache. Me revient en tête une phrase de Julien Clot, au sujet de l’agriculture…

« Si on crée des endroits qui permettent aux gens de travailler ne serait-ce que quelques heures par année dans des espaces accueillants, on peut recréer une solidarité dans la chaîne. »

Je pense qu’il a raison.

Les prochaines Célébrations du kimchi ont lieu actuellement en Estrie (Saint-Adrien) jusqu’au 25 octobre, puis en Montérégie (Mont-Saint-Grégoire) les 28 et 29 octobre. Pour participer, il suffit de s’inscrire en ligne.

Consultez le site de SymbiOse AlimenTerre