Café au collagène pour une peau rebondie et des articulations en santé ; café aux champignons pour améliorer la concentration et la créativité ; café qui brûle les graisses pour une minceur instantanée ; café au beurre pour amoindrir l’appétit…

En tant que dame qui approche de la quarantaine, je suis bombardée de publicités qui promettent jeunesse, acuité et fermeté éternelles. Les algorithmes tentent de me créer des besoins en s’appuyant sur les injonctions que notre société aime bien imposer aux femmes, rien d’étonnant là-dedans. Ce qui me surprend, c’est que plusieurs de ces publicités concernent le café.

Je ne suis pourtant pas une grande amatrice. J’en bois un seul, le matin, par habitude plus que par appréciation du goût… J’ai d’ailleurs commencé le rituel assez tard. À l’université, plusieurs étudiants arrivaient en classe avec une quantité alarmante de café en main. Si ça les aidait à survivre aux nuits blanches causées par les travaux ou plus probablement par la fête, alors j’allais évidemment suivre le groupe. Pas plus folle qu’une autre.

J’ai commencé à boire du café pour être plus productive. Devrais-je m’étonner qu’on tente aujourd’hui de me le vendre pour « optimiser » mon corps, ma tête et ma santé ?

« L’histoire du café, c’est largement l’histoire de la productivité dans le monde industriel américain », croit Jean-Pierre Lemasson. Le sociologue de l’alimentation m’apprend que des gestionnaires ont offert du café à leurs employés dès les années 1850 en se basant sur une hypothèse toute simple : « L’homme devait produire plus, donc il avait besoin de plus d’énergie, comme une machine. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Jean-Pierre Lemasson, sociologue de l’alimentation

Ça tombait bien, le café était une source d’énergie appréciée par la main-d’œuvre ! Il créait ce que le professeur retraité de l’UQAM appelle une « productivité heureuse ». D’abord parce que les ouvriers se sentaient réellement énergisés, ensuite parce que le café venait avec une pause… Instituée, elle aussi, pour augmenter leur productivité en renfonçant leur sociabilité et en leur permettant de reprendre des forces.

Bref, ça fait un bail qu’on voit le café comme un élixir qui nous aide à en faire plus. Ce qui étonne toutefois Jean-Pierre Lemasson (qui n’est visiblement pas confronté aux mêmes algorithmes que moi), c’est qu’on l’associe tout d’un coup à la santé.

L’expert en patrimoine alimentaire se souvient d’une époque où plusieurs études tentaient de déterminer si le café nuisait ou non à notre santé, notamment sur le plan cardiovasculaire. (Une légende veut que Balzac soit mort parce qu’il buvait 50 cafés par jour pour arriver à écrire tout ce qu’il avait à écrire. Y mettait-il au moins du beurre pour contrôler son poids du même coup, le paresseux ?) Si tout semble indiquer que le breuvage n’est finalement pas une menace pour notre survie quand on le consomme modérément, « on passe à une autre logique en en faisant un vecteur de promotion de la santé parce qu’on y ajoute des additifs, comme le collagène, dont la vertu est loin d’être prouvée », estime Jean-Pierre Lemasson.

« On est dans le fantasme. »

Je ne suis pas sociologue et je ne me base que sur ce qui m’empêche de dormir la nuit, mais j’ai l’impression que ce fantasme encapsule plusieurs tendances fortes de notre époque.

La performance, évidemment. Celle qu’on valorise parfois au point d’en casser. La quête de spiritualité, aussi. Certains sites vantant les cafés adaptogènes (dans lesquels on ajoute des herbes médicinales et des champignons) précisent qu’il s’agit de boissons ancestrales jadis prisées des chamanes… L’optimisation de la santé y est sans doute pour quelque chose, également. Elle est de plus en plus présente dans les médias sociaux, prônée par nombre de médecins devenus figures publiques qui nous invitent à développer notre plein potentiel (parmi lesquels les Américains Andrew Huberman et Petter Attia). Sans oublier l’alimentation-miracle voulant que certains produits puissent résoudre nos bobos.

Je ne dis pas que tout ça est nécessairement faux ou négatif. Je pense simplement qu’on est bombardés d’un même message : on peut faire mieux.

Le contexte est parfait pour que je finisse par boire trois cafés par jour en croisant les doigts pour régler trois problèmes différents.

Jean-Pierre Lemasson réfléchit à voix haute : le café est l’une des boissons les plus consommées dans le monde. Imaginons à quel point le potentiel de développement est immense pour une entreprise qui nous promet qu’en y ajoutant quelque chose, il nous rendra productifs à un tout autre niveau… « Sauf que c’est du marketing de mythologie », insiste-t-il.

De mythologie, peut-être bien. Mais le marketing a toujours su identifier nos failles, nos rêves et nos besoins. Et ici, j’ai l’impression qu’il vise droit dans le mille.