Chaque mois, deux amis font le pari un peu fou de recevoir six inconnus pour un souper cinq services. Et ce mois-ci, je suis de la partie.

Kato Langlois-Muftikian et Élie Madison ont longtemps rêvé d’un projet commun. La première se décrit comme « cheffe amateure qui ne veut pas travailler en restauration pour éviter de ruiner son hobby ». La femme de 25 ans bosse donc pour le bar Turbo Haüs et le Gala alternatif de la musique indépendante du Québec. Le second est chef du restaurant Le Xavier, à Terrebonne, et musicien.

Ils étaient faits pour s’entendre, ils en sont convaincus. D’ailleurs, ils s’entendent depuis huit ans.

L’été dernier, Élie a invité Kato à souper chez lui. Le chef de 34 ans habite une vaste colocation sur le Plateau Mont-Royal et le repas réunissait des personnes de différents horizons. Kato a eu une illumination : « Et si c’était ça, notre projet ? »

Ainsi sont nés les « soupers d’inconnus ». Chaque mois, le duo cuisinerait un menu cinq services pour des gens qui ne se connaissaient pas !

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Kato Langlois-Muftikian et Élie Madison organisent chaque mois des soupers cinq services pour des gens qui ne se connaissent pas.

Les deux amis ont lancé un appel sur leurs réseaux sociaux respectifs. Après trois éditions, la liste des intéressés comprend toujours une cinquantaine de noms. Ils comptent la renflouer sous peu et inclure des personnes dépassant leur cercle de connaissances.

Le projet est d’envergure, tant sur le plan social que culinaire. Kato et Élie déterminent ensemble le menu et tiennent à inventer des recettes. Le jour de la réception, ils font les courses à pied (ils n’ont pas d’auto), reviennent les bras fatigués et cuisinent pendant des heures.

« La première fois, on a trop ambitionné, se rappelle Élie Madison en riant. Ça nous a pris deux jours de préparation et on avait beaucoup trop de nourriture. On demande à tout le monde une contribution de 20 $, mais on n’arrive jamais ! Heureusement, le mois dernier, mon fournisseur de viande au resto (Mon beau bon bœuf) m’a offert une pièce de macreuse parce qu’il trouvait le projet cool. »

Kato Langlois-Muftikian surenchérit : « L’idéal serait que ça pogne assez pour avoir des commanditaires. Pas pour faire du cash, juste pour réunir des gens autour d’une table. C’est ça qui nous fait tripper, Élie et moi. On est toujours stressés de voir comment ils vont interagir, mais ça fait partie du pari ! Quand des couples s’inscrivent, on leur explique qu’ils devront venir séparément. »

« C’est pas pour les anxieux », ajoute Élie.

Même moi, de nature sociable, je me demande un peu à quoi ça va ressembler…

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Élie accueille Rose-Aimée avec un verre de vin.

Mes craintes se dissipent dès mon arrivée. Tout le monde est réuni dans la cour de l’appartement et j’en profite pour découvrir le lien qui unit les participants aux hôtes.

Quand Jo a quitté Rimouski pour Montréal, il y a huit ans, c’est Kato qui l’a aidé à trouver son logement.

« Moi, je suis ici parce que je sais comment Kato cuisine », lance Dany.

Comme Dany, Alexis a rencontré Kato au bar où elle travaille. Le concept des soupers d’inconnus l’enchante : « J’aime découvrir l’histoire des autres, puis je suis un foodie ; tout mon argent passe dans la bouffe ! »

Sandrine est une amie d’ami. Puis Joune, elle, ne connaît ni Kato ni Élie. Elle a comme moi entendu parler de leur initiative en ligne. Bien que sociable, elle trouve difficile de se faire des copains hors du travail et de l’école : « Dans les bars, les gens pensent tout de suite au flirt », déplore-t-elle. Ce genre de soirée lui semble prometteur.

L’apéro nous amène à discuter de notre rapport à l’alcool. Jo me montre son poignet gauche. Trois élastiques à cheveux l’entourent. Il en enlèvera un pour chaque verre qu’il boira, ce soir. Après, s’il y tient, il pourra compter sur un « élastique d’urgence », m’explique-t-il en exhibant cette fois son poignet droit. Quatre consommations, maximum. Cette technique l’aide à être conscient de ce qu’il ingère et à se demander : « Est-ce que je veux vraiment ce prochain verre ? »

Brillant.

De notre rapport à l’alcool, on passe à nos pires histoires de ruptures en public. Des discussions étonnantes pour une poignée de gens qui ne se connaissent pas. Puis, vers 19 h 30, on descend au sous-sol de l’appartement où est dressée une grande table. Tandis qu’Élie veille sur les derniers préparatifs à l’étage, Kato nous décrit le premier service de ce menu d’inspiration printanière : un plat de crudités nappées de beurre noisette avec aïoli royal.

  • Asperges grillées et œuf poché

    PHOTO FOURNIE PAR KATO LANGLOIS-MUFTIKIAN ET ÉLIE MADISON

    Asperges grillées et œuf poché

  • Saumon aux agrumes avec salsa à la mangue

    PHOTO FOURNIE PAR KATO LANGLOIS-MUFTIKIAN ET ÉLIE MADISON

    Saumon aux agrumes avec salsa à la mangue

  • Pavlova aux kiwis avec crème glacée à la vanille

    PHOTO FOURNIE PAR KATO LANGLOIS-MUFTIKIAN ET ÉLIE MADISON

    Pavlova aux kiwis avec crème glacée à la vanille

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Suivent des asperges grillées avec crème fouettée aux queues d’asperges et citron, œuf poché et graines de tournesol ; un portobello farci au crabe gratiné ; du saumon aux agrumes avec salsa à la mangue ; et une pavlova aux kiwis macérés à la menthe avec crème glacée à la vanille et chiffonnade de basilic.

C’est divin. Que nos hôtes déploient tant d’efforts pour nourrir des gens qu’ils ne connaissent même pas (coucou !) me dépasse. Remarquez, on en vient rapidement à se connaître.

Au cours de la soirée, Kato nous parle de la situation politique en Arménie ; Élie, de la solidarité dans le milieu de la restauration ; Joune, du quotidien dans les refuges d’urgence pour femmes en situation d’itinérance ; Dany et Jo, des expressions typiques du Bas-du-Fleuve (« arsoudre, ça se conjugue comme un verbe du troisième groupe ») ; Alexis, des mérites de la chanson Crazy Frog (!) et Sandrine, de la peintre surréaliste Mimi Parent.

Sur la table, les cannettes d’Old Milwaukee fréquentent les verres de vin orange. Comme les boissons, notre réunion est inattendue, mais riche. Ce souper d’inconnus sonne comme un souper d’amis.

J’en ressortirai près de six heures plus tard. Je serai la première à quitter la fête. Et Jo n’aura plus d’élastique aux poignets.

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