MasterChef Québec débarque sur nos ondes, tandis que Les chefs ! prépare une saison réunissant ses joueurs étoiles. Pendant ce temps, les téléspectateurs peuvent aussi se tourner vers Un souper presque parfait ou le rattrapage web de Chefs de bois… Qu’est-ce qui nous captive à ce point dans les compétitions culinaires ?

J’ai fait appel à des experts pour sonder notre psyché télévisuelle et comprendre ce qui nous plaît tant dans les duels de fouets, de maryses et de soufflés, mais je vous rassure : je ne tente pas de voler le poste d’Hugo Dumas. Vous verrez que leurs observations nous ramènent souvent à notre état de gourmands. Cette enquête est publiée dans le bon cahier.

Léa Franck est amatrice de compétitions culinaires, scénariste et autrice d’un mémoire dont le titre est : Les émissions culinaires, symptômes des sociétés hypermodernes. Elle est toutefois gênée d’être considérée comme experte dans la présente chronique. Saluons son humilité.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Léa Franck

Ce qui m’a le plus marquée lors de ma maîtrise, c’est l’aspect paradoxal des émissions culinaires et de nos pratiques réelles. On appelle ça le food-porn. Ce qu’on fait dans notre lit et ce qu’on regarde en porno, ce n’est pas toujours la même chose ! Ça s’applique aussi à la télé et à la nourriture.

Léa Franck

Si Les chefs ! nous invite à consommer des produits frais et à valoriser notre patrimoine culinaire, ce ne sont pas nécessairement des pratiques auxquelles on adhère au quotidien. « On finit par se commander un Big Mac au McDo par UberEats », illustre la scénariste.

Bien que Mathieu Charlebois cuisine beaucoup, il n’a jamais voulu recréer une recette mise de l’avant dans Les chefs !. L’intérêt de la série n’est pas là. D’ailleurs, Caroline Décoste aimerait bien savoir qui a fait la caille en sarcophage à la maison. (Si c’est votre cas, écrivez-moi, je lui transmettrai le message.)

  • Caroline Décostes (notre photo) et Mathieu Charlebois sont à la barre de Vas-tu finir ton assiette ?

    PHOTO LLAMARYON/MARION DESJARDINS

    Caroline Décostes (notre photo) et Mathieu Charlebois sont à la barre de Vas-tu finir ton assiette ?

  • Caroline Décostes et Mathieu Charlebois (notre photo) sont à la barre de Vas-tu finir ton assiette ?

    PHOTO CARMÉLIE JACOB, FOURNIE PAR MATHIEU CHARLEBOIS

    Caroline Décostes et Mathieu Charlebois (notre photo) sont à la barre de Vas-tu finir ton assiette ?

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Le duo est à la barre de Vas-tu finir ton assiette ?, un site où il explore les confins de la nourriture industrielle et couvre les épisodes des Chefs !, une « obsession saisonnière ». La préface de leur livre Vas-tu finir ton assiette – essais et facéties entre deux allées d’épicerie, qui paraîtra en mars aux Éditions Québec Amérique, est d’ailleurs signée par Élyse Marquis.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Élyse Marquis anime Les chefs ! depuis plusieurs années.

Selon eux, si on doit 50 % du succès de la série à l’animatrice et à son non-verbal archi-expressif, notre appétit y compte aussi pour beaucoup.

Je cite Caroline Décoste (qui serait connaisseuse au point d’être surnommée « la Rodger Brulotte des Chefs ») : « Je vois des gens faire des choses que je ne suis pas capable de faire et accomplir leurs tâches en moins d’une heure. J’ai un sentiment de satisfaction par procuration ! En plus, on est super stimulés visuellement. C’est comme si on pouvait goûter aux mets. »

Mathieu Charlebois y va d’une démonstration troublante. Il m’invite à regarder autour de moi.

« N’importe quelle affaire que tu regardes, tu peux imaginer l’effet que ça ferait sur ta langue. Tu peux deviner ce que ça goûterait, non ? »

… Il a raison. Ça goûte le besoin d’époussetage.

« On me montre un plat gastronomique et je sais un peu ce que ce serait que de le manger », conclut le chroniqueur.

Notre fibre gourmande est interpellée par les émissions de cuisine, mais les compétitions, elles, vont plus loin que ça. En tant que scénariste, Léa Franck estime que la clé de leur succès est le stress : « La compétition, le décompte, les paramètres imposés aux candidats… Tu es avec eux. » D’ailleurs, elle consomme beaucoup de ces émissions en écrivant à une amie. Ensemble, elles s’inquiètent : « Voir qu’ils viennent de leur ajouter un dessert, les pauvres ! »

Ce qui m’étonne, c’est qu’on s’engage dans la quête des participants même si on connaît les rouages du montage par cœur. La musique dramatique, les petits incendies (qu’on finit toujours par éteindre sans heurts), les juges qui se méfient d’un plat finalement bien correct. Et si en connaître la recette rendait le genre encore plus réconfortant ?

L’aspect rassembleur de ce type d’émissions n’est pas à négliger non plus. Caroline Décoste a donné la permission à ses filles de 6 et 8 ans de se coucher plus tard les lundis. Elles adorent regarder Les chefs !, même si elles n’aiment pas manger grand-chose…

Les enfants de Jean-Michel Berthiaume, docteur en sémiologie spécialisé en culture populaire, critiquaient jadis les repas familiaux comme le ferait Daniel Vézina. « Ils pouvaient rehausser l’expérience de leur quotidien grâce à ce qu’ils voyaient à la télévision », précise-t-il. Et c’est là la spécificité des compétitions culinaires, selon lui.

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Jean-Michel Berthiaume, docteur en sémiologie spécialisé en culture populaire

Quand on réfléchit à la culture populaire, on parle souvent d’escapisme ; on se demande ce à quoi ça nous permet d’échapper. Moi, ce qui m’intéresse, c’est plus ce qui est participatif. Et à mon avis, l’émission culinaire est ce qu’il y a de plus participatif dans le genre.

Jean-Michel Berthiaume, docteur en sémiologie spécialisé en culture populaire

Le docteur en sémiologie enchaîne les exemples probants : on ne reproduit pas les mouvements magistraux vus dans Révolution, pas plus que Du talent à revendre ne nous donne envie de cracher du feu. La cuisine, elle, fait déjà partie de nos habitudes. On ne concoctera peut-être pas une caille en sarcophage, mais si un chef ou un juge nous explique comment mieux apprêter un champignon, ça se peut qu’on retienne ses conseils.

« Tu peux triper sur la présentation des repas et être alléché, mais il y a aussi quelque chose qui t’invite à donner une importance nouvelle à des ingrédients, résume Jean-Michel Berthiaume. Tu vas participer. »

Peut-être qu’au fond, ce qu’on aime tant dans les compétitions culinaires, c’est de se sentir inclus sans avoir à faire de vaisselle.

Consultez le site de Vas-tu finir ton assiette ?