C’est banal, un sandwich. C’est souvent le mets vers lequel on se tourne comme une défaite ; manque de temps, d’inspiration ou de courage pour aller à l’épicerie. Mais ici, il est plutôt synonyme de bonté… et de survie.

Comme tous les mercredis matin, une quinzaine de bénévoles s’affairent dans le sous-sol de l’église Notre-Dame-de-Grâce. En moins de 90 minutes, ils peuvent faire entre 450 et 700 sandwichs, m’explique Kirstie Jagoe.

« Mais c’est énorme !

– Et c’est sans compter tous ceux que des bénévoles font chez eux… »

Chaque semaine, ce sont plus de 3000 sandwichs qui sont livrés dans près d’une dizaine de refuges montréalais, grâce à l’organisme Pain et plus (Bread and Beyond).

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Pain et plus compte sur plus de 400 bénévoles.

Tout a commencé en 2020. Kirstie Jagoe travaillait en développement international quand son emploi a été mis sur pause en raison de la pandémie. Au même moment, Résilience Montréal (un abri de jour pour personnes en situation d’itinérance) lançait un appel aux dons.

Pourquoi ne pas passer le temps en faisant des sandwichs ?

Aujourd’hui, Pain et plus compte sur plus de 400 bénévoles. Nul n’est tenu de s’impliquer à une fréquence donnée, on s’investit seulement quand c’est possible de le faire. Le mercredi, on peut venir cuisiner dans le sous-sol de l’église avec des denrées offertes par le Club des Lions ou payées par l’organisation. Sinon, on peut préparer des sandwichs à la maison, auquel cas on fournit les ingrédients et on dépose nos créations dans une glacière qui se trouve sur le perron de Kirstie.

Au menu : des sandwichs au beurre d’arachides, viande et fromage, thon, œufs ou autres variations de notre cru…

La livraison dans les refuges est assurée par des bénévoles du lundi au vendredi. L’organisme compte également sur l’aide d’une quinzaine d’écoles dont les élèves découvrent avec joie l’art de redonner. D’ailleurs, des enfants ont dessiné sur les sacs dans lesquels sont emballés les sandwichs de ce matin. Sur l’un d’eux, je lis : « We care for you. »

On tient à toi.

« Ces sandwichs servent à entamer une conversation », estime Kirstie Jagoe.

Plusieurs personnes se méfient de celles qui vivent en situation d’itinérance. On les comprend mal et on les rencontre trop peu. Kirstie, elle, travaille sur le dialogue entre cette population vulnérable et la communauté. Elle croit qu’on peut rendre l’itinérance temporaire plutôt que chronique. « S’agit de mettre en place les bonnes solutions avec les bonnes personnes et les bonnes politiques. »

D’ailleurs, n’est-ce pas par manque de telles politiques que ce soutien communautaire est nécessaire ?

Il y en a qui disent qu’on n’est qu’un pansement sur une plaie ouverte. Peut-être. Mais tant que les gens saignent, je ne suis pas prête à enlever ce pansement ! Je me sens aussi responsable de ce problème. On doit en parler, le voir, et non pas juste l’accepter comme faisant partie de la vie en ville.

Kirstie Jagoe, fondatrice de Pain et plus

Kirstie Jagoe croit en la prévention. En plus des sandwichs, Pain et plus offre des « boîtes d’essentiels » aux nouveaux arrivants et aux personnes qui sortent de centres jeunesse ou de refuges. Chaque boîte est conçue en fonction des besoins de l’individu ; on peut par exemple y trouver ce qu’il faut pour la cuisine, la salle de bains, la chambre ou le garde-manger. Tout ce qu’elle contient a été donné par la communauté. Et pas nécessaire d’avoir beaucoup de sous pour contribuer, une brosse à dents reçue chez le dentiste est très appréciée, précise Kirstie.

Elle me montre des tuques tricotées avec amour par des donatrices, des courtepointes sur lesquelles sont épinglés des mots d’encouragement et un livre de recettes simples conçu par des élèves du secondaire.

« Je ne suis qu’un vaisseau pour mettre à profit les talents de chacun ! »

Après 18 mois à mener la barque sans salaire, Kirstie Jagoe a fait de Pain et plus son emploi. Elle est particulièrement fière que ce soit une initiative qui donne à l’année. Les Fêtes amènent davantage de ressources aux organismes et refuges, mais il faut des gens qui veillent au grain le reste du temps aussi.

Je regarde les bénévoles à l’œuvre et je suis étonnée par la mixité du groupe. Des jeunes femmes, des aînés, des sourires à la pelletée. Mimi et Stéphanie en sont respectivement à leur deuxième et quatrième visite. Lorsque je leur demande pourquoi elles sont là, Mimi me répond que faire des sandwichs à la maison, c’est plate quand on a goûté à l’atmosphère de groupe ! Stéphanie ajoute en riant qu’on ne cuisine pas en silence, ici…

La joie du travail collectif, les besoins que ça comble et l’envie de combattre le sentiment d’impuissance sont autant de raisons nommées par les bénévoles pour justifier leur engagement. Certains, comme Edward, ont mené une carrière en services sociaux et poursuivent leur contribution malgré la retraite.

L’œuvre d’une vie.

Un pilier de l’organisme fait son entrée. Depuis deux ans, Jeffrey Zaiser et sa femme cuisinent 16 sandwichs par jour, du lundi au vendredi. Pourquoi ? « Parce qu’il faut que ce soit fait. » L’air grave, il ajoute espérer que plus de personnes se joignent à l’initiative, puisque les besoins demeurent immenses.

Alex, elle, est bénévole depuis mars. Cette semaine, elle a aussi cuisiné des biscuits avec quelques amis, question que les personnes aient droit à une petite gâterie. Elle a envie qu’elles se sentent appréciées.

Alex me raconte qu’une fois, elle a assuré la livraison de sandwichs dans un refuge. Elle a honte de l’avouer, mais elle a d’abord eu peur. La ruelle menant au lieu était inquiétante et des hommes s’approchaient du véhicule. Pourtant, quand elle est sortie de l’auto, ces hommes l’ont simplement remerciée. Ils voulaient lui témoigner leur reconnaissance.

« C’est du bénévolat qui confronte vos préjugés ?

– Absolument ! Et j’essaie maintenant de partager tout ça, je recrute constamment des gens. »

Mission accomplie, dans ce cas-ci, Kirstie. Les sandwichs ont visiblement engagé de belles discussions…

Consultez le site de l’organisme Pain et plus