Naruto Uzumaki adore le ramen.

Naruto est un ninja dont les activités sont suivies par un vaste public depuis plus de 20 ans. Par « vaste public », j’entends que plus de 250 millions d’exemplaires de la bande dessinée japonaise mettant le personnage en scène ont été vendus dans le monde… Parler de ramen sans mentionner ce manga de Masashi Kishimoto, ce serait manquer de délicatesse.

Et s’il fait une belle part au mets, plusieurs autres bandes dessinées japonaises mettent carrément la gastronomie au cœur de leurs intrigues. Vous ne le saviez pas ? Moi aussi je l’ignorais, jusqu’à ce que je jase avec Jean-Michel Berthiaume et qu’il me somme de regarder Gloutons & Dragons (Netflix), l’adaptation d’un manga culinaire qu’il aime beaucoup.

Gloutons & Dragons

« Un quoi ? »

Le manga culinaire est un sous-genre important de la bande dessinée japonaise, m’a-t-il appris. Le docteur en sémiologie spécialiste de la culture populaire s’intéresse particulièrement aux œuvres qui proposent des personnages boulimiques d’informations, que leur quête soit relative à la sexualité (Sex Ed 120 %), aux polices de caractère (What The Font?!) ou à la gastronomie. Et dans ce rayon, ils sont nombreux.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Amélie Jean-Louis, PDG des librairies O-Taku

Lorsqu’on pense manga, on pense combats, pouvoir et aventure, et non pas cuisine… Pourtant, ça vend énormément.

Amélie Jean-Louis, PDG des librairies O-Taku

On s’en étonne, mais quand on y réfléchit un brin, un repas, c’est une histoire en soi.

« Il ne s’agit pas que de manger, mais aussi de culture, de souvenirs, d’émotions… Et les dessinateurs en profitent bien », croit Azusa Matsumoto. En fait, la gastronomie est si étroitement liée aux bandes dessinées japonaises que la fondatrice de Cours de manga MONTRÉAL enseigne à ses élèves comment cuisiner mochi et ramen !

L’ex-mangaka me montre une vidéo. On y aperçoit les mains d’un youtubeur en train d’apprêter différents mets illustrés dans de célèbres mangas. Déjà plus de 100 000 vues sur la plateforme… C’est une tendance pour vrai ? Azusa Matsumoto me confie qu’elle y a elle-même succombé et qu’elle fait passer certaines recettes du livre aux fourneaux. Il s’agit d’une manière de se rapprocher des protagonistes qu’elle aime.

La fiction s’amène dans sa cuisine.

Les traditions aussi.

C’est que l’héritage est un thème important dans les mangas culinaires, or, il est associé à un certain déchirement.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Azusa Matsumoto, fondatrice de Cours de manga MONTRÉAL

Souvent, deux parties se battent. D’un côté, un chef veut garder la tradition, alors que l’autre veut être plus créatif.

Azusa Matsumoto, fondatrice de Cours de manga MONTRÉAL

Le scénario de Yakitate!! Ja-pan me vient aussitôt en tête. Dans ce manga de Takashi Hashiguchi, on apprend à faire du pain en même temps qu’un apprenti boulanger boudé par sa famille. Elle le trouve occidentalisé, avec sa passion pour la miche ! Quand le jeune homme en veut à son grand-père pour son manque de curiosité culinaire, sa grand-mère lui explique qu’après la guerre, les soldats remettaient des craquelins aux Japonais. Difficile d’embrasser ensuite les dérivés du pain, vous comprenez ?

Dans le même esprit, le premier tome de la très célèbre série Food Wars nous présente un fils qui cherche à devenir meilleur chef que son père. Il est aussi question d’embourgeoisement immobilier et d’une impressionnante recette de faux rôti de porc à base de patates bouillies, champignons et bacon que je rêve de recréer. Attention, ce recueil peut avoir un sacré effet sur ses lecteurs : un client de la librairie O-Taku a trouvé sa vocation de cuisinier grâce à celui-ci. Vous êtes prévenus.

Si vous ne souhaitez pas changer de carrière, mais que l’Histoire avec un grand H vous intéresse, optez plutôt pour le coup de cœur d’Amélie Jean-Louis : Le chef de Nobunaga, de Mitsuru Nishimura et Takuro Kajikawa. Un cuisinier s’évanouit et, à son réveil, se rend compte qu’il a été transporté dans le Japon médiéval ! Il croise la route de l’important guerrier Nobunaga et devient son chef personnel… Un périple qui nous dévoile le passé du Japon et le développement de son industrie alimentaire.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Michel Berthiaume, docteur en sémiologie spécialiste de la culture populaire

Du côté de Jean-Michel Berthiaume, ce sont Les gouttes de Dieu (Tadashi Agi et Shū Okimoto, depuis adapté en série télévisée par Apple TV+) qui ont fait une réelle différence. Cette compétition entre deux jeunes adultes espérant hériter d’une époustouflante collection de vins lui a permis de se familiariser avec le monde viticole et de cesser de se sentir imposteur en entrant dans une SAQ : « Tu lis ça, et tu en sais assez pour tenir une conversation, cerner tes goûts et faire tes choix. »

Le docteur en sémiologie y va d’un parallèle intéressant : certains mangas culinaires sont en quelque sorte des guides Pour les nuls emballés dans une histoire excitante. L’information n’en est que plus digeste.

J’irais même plus loin. Ma toute récente incursion dans les bandes dessinées japonaises me laisse penser que certains mangas peuvent nous alimenter en sujets de discussion pour le souper. Le premier tome de Gourmet détective (Akiko Higashimura) soulève des questions épineuses telles que : « Qu’est-ce qui est le plus important dans un couple : le sexe ou les repas ? »

Du savoir-faire, du savoir-vivre et de quoi réfléchir. Moi qui croyais que les mangas étaient une simple affaire d’adolescents…

À découvrir

Envie de faire des découvertes ? Voici des mangas culinaires incontournables selon l’équipe de Manga Montréal :

  • Le gourmet solitaire, de Masayuki Qusumi et Jiro Taniguchi
  • Oishinbo, de Tetsu Kariya et Akira Hanasaki
  • Food Wars, de Yūto Tsukuda et Shun Saeki, avec la participation de Yuki Morisaki
  • Emiya-san Chi no Kyou no Gohan, de TAa
  • Isekai izakaya Nobu, de Natsuya Semikawa et Kururi

Et voici les coups de cœur d’Amélie Jean-Louis, des librairies O-Taku :

  • La maison des maiko, d’Aika Koyama
  • Sanji’s Food Wars, de Yūto Tsukuda et Eiichirō Oda
  • Gloutons & Dragons, de Ryoko Kui
  • Chacun ses goûts, de Machita
  • La cantine de minuit, de Yarō Abe