Cuisiner, c’est souvent chiant.

(Re)lisez « Fous de la friteuse à air chaud »

Oui, c’est parfois source de relaxation, de créativité, de complicité ou de douce ivresse. Mais au quotidien, ça ressemble plus à une tâche répétitive et aliénante coincée dans un horaire surchargé.

Ce n’est pas un hasard si Geneviève O’Gleman et Marilou ont respectivement lancé les livres Réconfort sans effort et Tout simple il y a un mois ! Elles s’inscrivent dans une intéressante lignée de créatrices et de chefs qui rivalisent d’ingéniosité avec des recettes toujours plus faciles, plus rapides et moins salissantes.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Marilou

Jusqu’où ira-t-on pour nous convaincre que cuisiner, ça se fait en un claquement de doigts ?

C’est une question honnête.

Ce n’est absolument pas une pointe contre Genevève O’Gleman (je pourrais manger son tofu caramélisé à l’érable chaque jour de ma vie et mourir en souriant). Ce n’est rien contre Marilou non plus, que j’admire et qui m’a expliqué avec éloquence la raison pour laquelle elle s’attaque au marché des recettes toutes simples…

Le livre qu’on vient de sortir est ancré dans mes besoins actuels : j’ai besoin de recettes niaiseuses ! J’ai peu de temps, mes filles ont des goûts complètement différents et c’est un casse-tête chaque jour. J’ai besoin de solutions, comme accepter que mes recettes puissent inclure des ingrédients déjà préparés à l’épicerie.

Marilou

Quand je lui ai demandé quelle était la recette la plus « niaiseuse » de son livre, Marilou m’a répondu : « Le spag au beurre et aux tomates... C’est facile et ça reste meilleur que bien de la scrap qu’on peut ramasser sur la 132 en revenant à la maison. »

C’est un bon argument, mais n’est-ce pas lassant de devoir rendre ses plats toujours plus simples ? N’a-t-elle pas l’impression de niveler vers le bas, comme on dit ?

« Pas du tout », m’a répondu Marilou. Son équipe et elle s’adaptent à la réalité d’aujourd’hui. Et aujourd’hui, on manque de temps. C’est un moteur créatif comme un autre.

C’est aussi une manière toute récente de promouvoir les livres de cuisine, ai-je appris.

« Pendant la Grande Dépression des années 1930, le prix des denrées a augmenté, une rareté s’est instaurée et il y a eu un mouvement pour inciter les femmes à produire le nécessaire pour nourrir leur famille, m’a expliqué l’historienne Catherine Ferland. Le gouvernement canadien a publié toute une série de fascicules pour inviter les gens à faire leur semis, cultiver les légumes sur un petit lopin de terre et faire leurs conserves. Certaines entreprises alimentaires ont également conçu des guides pour montrer comment nourrir une famille de huit avec une boîte de thon, par exemple. L’industrie venait en renfort : “Voici une façon de nourrir plus de gens.” Les recettes s’articulaient autour d’une fonction strictement nourricière. »

Il faut attendre les années 1980 pour que les livres de cuisine vantent une certaine rapidité d’exécution.

PHOTO FOURNIE PAR CAROLINE DURAND

L’historienne Caroline Durand

« À partir du moment où les femmes conservent leur emploi rémunéré même lorsqu’elles deviennent mères, m’explique l’historienne Caroline Durand. Avec ce rythme de vie, cuisiner doit se faire de plus en plus vite et des livres pratiques viennent répondre à cette pression. C’est également une manière d’inciter les gens à acheter le livre même s’ils n’ont pas vraiment le temps de cuisiner… »

Bonjour, les guides, donc. Bonjour, aussi, les repas surgelés ! Le micro-ondes devient le sauveur du monde pressé, mais la solution miracle est de courte durée…

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Catherine Ferland, historienne

Un basculement s’est fait quand on a compris que certaines quantités de gras trans, de sel et de sucre pouvaient être dangereuses. Un côté nutritionnel s’est ajouté au côté pratique et c’est une construction qui progresse depuis le tournant des années 2000.

Catherine Ferland, historienne

« On sait que le temps est précieux, mais que c’est important de cuisiner, alors on offre des stratégies pour que ça se fasse plus simplement », ajoute-t-elle.

L’historienne me cite différentes tendances : les repas cuits sur une même plaque, les pâtes faites dans une seule casserole, la mijoteuse, la très populaire friteuse à air, etc.

Les modes vont et viennent, mais toutes ont en commun la promesse de nous faire gagner du temps, de l’argent et de la santé. Surtout, elles insistent sur le fait qu’un repas sain est un repas préparé à la maison.

« On vient revaloriser la domesticité, remarque Caroline Durand, mais on l’adapte à la vie moderne en rendant ça le moins compliqué possible. »

Or, est-ce vraiment si facile ?

Je sais que je cuisine avec une lenteur phénoménale (j’ai constamment peur de me trancher un doigt avec ma piètre dextérité), mais je sais également que le temps requis pour faire une recette dépend de nos aptitudes, de nos outils et du contexte dans lequel on se trouve… J’ai l’impression que les chefs sous-estiment parfois l’ampleur de la tâche, aussi simple soit-elle.

« Je me demande s’il n’y a pas un effet émission de télé » sur les livres, réfléchit Caroline Durand. Les émissions se déroulent dans un temps précis, ce qui promeut un monde idéal dans lequel on cuisine rapidement. On sait qu’il y a du montage, mais on nous présente quand même une cuisine-spectacle. Le résultat sera non seulement bon, mais impressionnant… Comme si la cuisine devait être pratique, optimale, productive et spectaculaire. »

Tu veux que ton spag au beurre et aux tomates soit bien présenté. En fait, tu veux n’importe quelles pâtes sauf celles que tu cuisines habituellement…

« Manger toujours la même chose évoque l’ennui, alors on souhaite renouveler notre répertoire culinaire, poursuit la professeure d’histoire. Pour ça, on a besoin de recettes simples et rapides. Tu sais ce qui est simple et rapide ? Les recettes qu’on connaît par cœur… Sauf que c’est plate, manger notre bon vieux macaroni. Socialement, on valorise beaucoup la diversité culinaire. »

On manque de temps et nos critères sont élevés, tant sur le plan du goût que sur celui du spectacle et de la nouveauté. Les livres qui nous promettent la simplicité tentent de nous permettre d’atteindre ces objectifs.

Peut-être que c’est ce qu’il faut pour nous convaincre de cuisiner à la maison, au fond : l’espoir qu’on va réussir à ne pas se décevoir.

(En moins de 30 minutes.)