(Chablis) LeBron James lui achète directement de grands crus, Christian Louboutin lui échange des bouteilles pour des escarpins et il reçoit depuis ses débuts les meilleures notes des plus célèbres critiques de vins. Depuis 15 ans, le Québécois Patrick Piuze a établi à Chablis sa réputation. Celle d’un bon vivant exubérant, d’un artisan perfectionniste et d’un vinificateur d’exception.

« Patrick, lorsqu’il entre quelque part, après cinq minutes, tout le monde se demande qui il est ! », dit Fabien Espana, propriétaire du bar à vin Chablis Wine Not, où l’on trouve les grands crus bourguignons, dont les chablis de la maison Patrick Piuze.

Je ne l’avais pas revu depuis son départ pour la Bourgogne, en 2000. Il avait été brièvement sommelier au bar Karina, rue Crescent, après avoir ouvert un bar à vin, rue Saint-Denis à Montréal, en 1997. La cheffe du Pinot Noir — sa blonde de l’époque —, Colombe St-Pierre, en était à ses premières armes en cuisine.

L’expérience de restaurateur de Patrick Piuze ne fut qu’une parenthèse dans son parcours de passionné des fruits de la vigne. « J’ai quitté le Québec en 1991, mais mes racines sont restées québécoises. Je me souviens, c’est plus qu’une devise pour moi », dit Piuze, qui a conservé l’accent de ses origines, dans une langue mâtinée d’expressions françaises.

Le nom de son resto montréalais semblait prédestiné. Il y a 25 ans, alors que les bars à vin étaient quasi inexistants à Montréal, il proposait déjà un Château Grenouilles ainsi qu’un Puligny-Montrachet au verre. C’est au pays du pinot noir et du chardonnay qu’il a fondé une famille. Fanny Lozano, son associée et la mère de leurs deux adolescentes, est une Française aux origines andalouses. Lui, en revanche, n’a jamais demandé la nationalité française.

Rien ne prédestinait Patrick Piuze, originaire de Saint-Lambert, à une carrière de vinificateur dans l’une des régions viticoles les plus connues de la planète. C’était un élève pour le moins turbulent, qui a fait les 400 coups dans plusieurs établissements secondaires de la région montréalaise. « Il n’y a pas un collège privé qui a voulu de moi ! », dit-il en riant. Comme quoi le cadre scolaire traditionnel n’est pas propice à l’éclosion de tous les talents.

PHOTO MATHIEU DROUET, COLLABORATION SPÉCIALE

Patrick Piuze

Celui de Patrick Piuze est brut comme du champagne lorsqu’il s’initie au vin grâce à des cours de sommellerie avec le chroniqueur de vins Nick Hamilton au collège LaSalle. Alors qu’il est lui-même jeune sommelier dans un restaurant de Banff, il rencontre Marc Chapoutier, de la célèbre maison M. Chapoutier en Vallée du Rhône, qui l’inspire à travailler dans des cuveries en Afrique du Sud, en Israël et en Australie.

Après la brève parenthèse montréalaise du Pinot Noir, il part en Bourgogne faire les vendanges chez Olivier Leflaive, à Puligny-Montrachet. Le voyage devait durer trois semaines… Leflaive lui paie une formation à Beaune avant de lui confier la vinification de trois millésimes de Chablis. Piuze travaille ensuite un an chez Verget, sous Jean-Marie Guffens, devenu son mentor, avant d’être recruté par la maison Jean-Marc Brocard, où il est nommé maître de chai en 2005.

En mai 2008, Piuze quitte Brocard et fonde sa propre société. Il n’a que 35 ans. Le succès est quasi instantané. Son premier millésime est salué par le magazine Wine Spectator, qui donne à ses grands crus des notes de 93. Le chroniqueur vin de La Presse, Jacques Benoit, souligne son grand talent, tout comme l’influent critique Robert Parker (The Wine Advocate) et le critique du New York Times, Eric Asimov.

« C’est lui qui m’a lancé aux États-Unis », explique Patrick Piuze, qui a développé un véritable fan-club chez nos voisins du Sud.

Parmi ses admirateurs se trouve un certain LeBron James, œnophile et joueur de basketball, qui a publié en 2021 sur Instagram une photo du Grand Cru Les Preuses 2016 de Patrick Piuze, destinée à son ancien coéquipier des Lakers de Los Angeles Kyle Kuzma… et à ses 142 millions d’abonnés. Buzz assuré.

Le Québécois n’a pas vu cette photo au moment de sa publication. Il est absent des réseaux sociaux et pas le moindrement techno. « Je me sers d’un ordinateur une ou deux fois par année ! », me dit-il. Son site internet n’a pas été mis à jour depuis 2012. Il n’en a pas besoin. Toute sa production, pour l’essentiel exportée dans quelque 60 pays, se vend en quelques semaines.

Il faut dire que Patrick Piuze dirige à dessein une entreprise, avec un chiffre d’affaires d’environ 1,5 million d’euros, qui demeure artisanale à bien des égards. Ils sont quatre à y travailler à l’année. Le bureau que partagent Sylvie Quittot et Fanny Lozano, ses collaboratrices de longue date, occupe un petit espace dans le chai de la rue Émile-Zola. Sa seule employée, Géraldine Chauvet, dite « Gégé », cirait à la main les cols des bouteilles, lors de ma visite en mars dernier.

Il y a plus d’espace en cave — l’une d’entre elles date du XIIe siècle — pour les fûts et les bouteilles disposées dans différents bâtiments discrets de la rue Émile-Zola, dont certains communiquent par un passage souterrain.

« Les gens de Chablis m’ont vraiment bien accueilli. Ça n’aurait pas été possible d’avoir accès à ces caves, par exemple, sans le coup de pouce de la famille Vocoret, l’une des plus vieilles familles de Chablis », explique Patrick Piuze, en me faisant le tour du propriétaire.

PHOTO MATHIEU DROUET, COLLABORATION SPÉCIALE

Patrick Piuze sélectionne ses raisins dans des parcelles soigneusement choisies, dans la région de Chablis.

Piuze ne possède pas de vignes à Chablis, mais sélectionne ses raisins dans des parcelles soigneusement choisies, qu’il fait vendanger à la main — ce qui est exceptionnel à Chablis — par 75 employés saisonniers, logés et nourris sur place à la fin de l’été. Il ne lésine pas sur la qualité, choisit le plus souvent des raisins de vieilles vignes, collabore étroitement avec les viticulteurs et est adepte de fermentation naturelle.

Il est devenu, depuis deux décennies, un spécialiste du terroir chablisien dont le sous-sol calcaire est notamment composé de sédiments millénaires de coquilles d’huîtres. À l’aveugle, il est capable de deviner le millésime, le cru, le terroir d’un de ses vins, même si généralement, il boit plutôt les vins des autres.

Il se définit comme un chef d’orchestre. « Je ne sais pas jouer de tous les instruments, mais je sais diriger les musiciens », dit-il. C’est lui qui détermine le moment des vendanges, qui varie de plusieurs semaines d’une année à l’autre, en fonction de plusieurs facteurs, notamment bien sûr la météo. Vendanger après une pluie qui a « nettoyé » le raisin ne donnera pas le même résultat que vendanger au grand soleil.

La réussite de cette opération est cruciale. « L’une des rares fois que je l’ai vu en colère, c’est quand les vendangeurs sont arrivés dans les vignes sans leurs cisailles, à 20 minutes de route d’ici, et qu’il a fallu faire l’aller-retour pour venir les chercher », confie Gégé.

Un Non dosé très populaire

Au Québec, le vin le plus populaire de la maison Patrick Piuze est sans conteste le Non dosé, un mousseux conçu grâce à une méthode champenoise en collaboration avec la maison Moutard, installée depuis plusieurs générations en Champagne et en Bourgogne. « La moitié de nos ventes se font au Québec », me dit Benoît Moutard, sympathique trentenaire qui a des atomes crochus avec Patrick Piuze.

La SAQ vend désormais un « non dosé » rosé, élaboré avec du pinot noir. La boucle est bouclée pour l’ancien restaurateur montréalais, qui travaille quasi exclusivement avec du chardonnay.

Non dosé de la Maison Piuze à la SAQ
  • Patrick Piuze Non dosé Méthode Traditionnelle, 23,95 $, offert à la SAQ

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA SAQ

    Patrick Piuze Non dosé Méthode Traditionnelle, 23,95 $, offert à la SAQ

  • Patrick Piuze Non dosé méthode traditionnelle, 24,50 $, offert à la SAQ

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA SAQ

    Patrick Piuze Non dosé méthode traditionnelle, 24,50 $, offert à la SAQ

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Patrick nous fait déguster, à son équipe, Benoît et moi, un premier cru de 2013, une « petite année » dont il a tiré d’excellents vins qui se bonifient avec le temps, ce qui est certainement la marque d’un vinificateur talentueux. Autour de nous sont empilées des caisses de bouteilles qui doivent partir pour la Finlande, la Hongrie et la Suisse. Sylvie gère un vol de bouteilles d’un conteneur en Italie.

« Patrick vend du rêve, Sylvie détermine combien de rêve on peut vendre, et moi combien coûte le rêve ! », me dit Fanny, qui rappelle que l’une des caractéristiques de la France est le luxe (la maison Piuze produit 2,5 % de l’appellation Chablis grand cru). Patrick m’a d’ailleurs confié qu’il a parfois troqué des bouteilles contre des paires de chaussures avec le célèbre designer Christian Louboutin.

On ne devinerait pas, à le voir, qu’il fraie avec des créateurs de mode. Il a beau avoir eu 50 ans en janvier, il a toujours l’allure d’un ado des années 1990 qui a vénéré Nirvana. Il porte un kangourou avec le mot « Daddy » inscrit dans un cœur que lui a offert la chanteuse Charlotte Cardin — la fille d’un ami et collaborateur —, de passage récemment en Bourgogne avec son copain, le musicien et acteur Aliocha Schneider.

Les visites d’importateurs se succèdent. Deux Anglais dégustent des millésimes à même les fûts, comme je l’ai fait moi-même quelques heures plus tôt. Deux jours plus tard, l’ancien joueur de hockey Mats Sundin doit passer à son tour. Patrick, un amateur du Canadien qui se lève la nuit pour voir leurs matchs des séries, trouve ça drôle qu’un ancien des Nordiques et des Maple Leafs vienne le visiter à Chablis.

Je comprends ce qui les attire. « Ce que tu fais, ce n’est pas loin de l’alchimie ! », lui dis-je. Et lui de me répondre : « Essayer de transformer le raisin en or, je ne déteste pas l’idée ! » Ce n’est peut-être pas un hasard s’il s’est installé près de la Côte-d’Or…