Ne cherchez pas les vins de Julien Labet sur les tablettes de notre société d’État. Ils sont maintenant vendus en loterie à saq.com, une fois par année, ou alors ils se savourent au restaurant. Cela ne nous a pas empêchée de vouloir rencontrer la star du Jura pendant sa visite à l’occasion du dernier Montréal en lumière.

Dire qu’il y a sept ou huit ans, on pouvait acheter assez facilement la « petite » cuvée, Fleur, directement des tablettes, pour 25 $. Aujourd’hui, il faut compter 47 $ et être abonné à l’infolettre de l’agence Oenopole pour connaître les dates d’arrivages. Les autres étiquettes un peu plus chères (Fleur de savagnin, Les Varrons, etc.) se vendent tout aussi vite.

Mais rassurez-vous, même en France, vous aurez du mal à acheter les vins du domaine. Les rares fois où nous avons croisé ses précieux flacons dans la Ville Lumière, en mai 2022, ils étaient sur la tablette la plus haute du caviste, avec mention « réservé ».

Que s’est-il passé ? Certes, il y a un engouement généralisé pour les meilleurs vins du Jura. Certes, la belle réputation des Labet — le frère Romain et la sœur Charline font également partie de l’aventure — s’est propagée à coups de canons d’une incroyable finesse.

Mais ce qui cause la rareté est aussi une affaire de volumes et de climat qui change. Le Jura a beau être un géant en matière de renommée, c’est un tout petit département qui ne représente que 0,2 % du vignoble français. Qui plus est, les gels printaniers très fréquents peuvent décimer jusqu’à 80 % du rendement, comme en 2021. La chaleur s’en mêle aussi, menant parfois à une surmaturité plus difficile à travailler en cette époque où le goût de la fraîcheur est roi.

« Je crois qu’on va essayer de trouver des cuves en béton. Quand on a des millésimes plus chauds, on ne veut pas ajouter encore plus de bois. Dans les années 2000, on cherchait la surmaturité alors on est passés des foudres [tonneaux d’une très grande capacité] aux barriques [environ 200 litres], pour apporter du gras. Là, on est en train de faire le chemin inverse, de racheter des foudres. »

PHOTO JEREMY DIONNE, FOURNIE PAR MENU EXTRA

Julien Labet était présent chez Menu Extra le temps de quatre repas d’exception, lors de la plus récente édition de Montréal en lumière.

La plupart des vins du domaine n’ont pas de soufre. Mais pour Julien Labet, vin naturel ne rime pas du tout avec non-intervention. Afin d’arriver à faire un vin fin, équilibré, élégant, sans ajout de soufre ni d’autre intrant, de nombreuses « interventions » sont souvent nécessaires.

Déjà, le domaine qui s’étend sur 14 hectares est composé de 45 parcelles. Chacune d’entre elles est pressée et élevée individuellement en petit contenant afin d’exprimer le terroir le plus pur.

« Même les cuvées plus volumineuses, on les sépare. Comme ça, quand ça déraille, ça ne déraille pas sur toute la cuvée. On assemble plus tard au terme de plusieurs dégustations. On se sert beaucoup des lies pour soigner les vins. On va soutirer le vin qui va moins bien [action de décanter pour retirer les dépôts — ou lies — indésirables], puis lui ajouter des lies saines. On va aussi utiliser le temps comme remède. Le temps règle bien des choses. Et si ça déraille vraiment, on met un gramme de soufre, c’est tout !

« Il y a aussi un côté très pédagogique à garder nos crus séparés, poursuit Julien Labet. Peut-être qu’on ferait un grand chardonnay en assemblant tous les chardos. Mais je perdrais ce côté pédagogique et cette connaissance plus intime de chaque parcelle. »

Bref, pour faire un vin avec le moins d’ajouts chimiques possible, mais en visant droiture et précision, il ne faut pas juste « laisser aller le vin ». Observation, dégustation, questionnements, créativité, adaptation de tous les instants font partie du jeu.

PHOTO JEREMY DIONNE, FOURNIE PAR MENU EXTRA

Le savagnin est le cépage jurassien par excellence. Les autres cépages de la région sont le chardonnay, le poulsard, le trousseau et le pinot noir.

Un peu du Jura au Québec

Il y a trois semaines, le restaurant Vin mon lapin tenait une soirée « savagnin », cépage on ne peut plus jurassien. C’est avec ce raisin qu’on fait l’emblématique vin jaune, élevé sous un voile de levure, ce qui lui donne des notes de noix et de pain grillé. Mais il peut aussi produire des vins au caractère un peu moins marqué. Le savagnin est apparenté à la famille des traminers, mais ses arômes sont ailleurs, sauf quand celui-ci a été macéré avec ses peaux, façon « vin orange ». Alors, son côté floral se révèle et on croirait presque boire du gewurztraminer.

C’est du moins ce que nous a révélé cette soirée à Vin mon lapin où une bonne douzaine de cuvées de producteurs différents se sont exprimées. Pour commencer, il y avait celles du Vignoble La Bauge, collection Les beaux jus. Le Ça va gnin 2020 est un blanc produit de manière plutôt classique, élevé en barriques. « On l’a attendu quand même longtemps », déclare le vigneron Steve Beauséjour, qui semble bien fier de cette belle cuvée au nez et à la bouche à la fois riches de caramel écossais et frais de notes végétales.

PHOTO FOURNIE PAR STEVE BEAUSÉJOUR

Ça va gnin 2020 est un rare savagnin québécois, du vignoble La Bauge.

C’est Simon Naud, propriétaire de La Bauge et vigneron principal, qui a planté des vignes de savagnin en 2013, au retour d’un voyage dans le Valais, en Suisse. « Là-bas, on l’appelle heida », nous apprend-il. Avec la vendange 2021, Steve et Simon ont tenté une macération de 10 jours sur les peaux. Ils ont d’abord voulu tenter une méthode oxydative, mais se sont ravisés lorsque l’acidité volatile s’est présentée. Le résultat est très aromatique, pas tout à fait placé encore, mais avec un peu de temps, qui sait ! Dans les deux cas, ce sont des savagnins d’ici très prometteurs.

Au Québec, Pinard et filles a des pieds de savagnin plantés en 2011 dans son vignoble de Magog. On trouve le raisin en proportion grandissante (assemblé avec du chardonnay) dans la cuvée Chardonneret. Le Clos de l’orme blanc, à Saint-Armand, a élaboré son Plume 2021 avec du savagnin à 100 %. À avoir à l’œil sur les cartes des vins de la province !

On peut acheter du Ça va gnin 2020 chez Pascal le boucher, à Montréal, et aux Minettes, à Laval, et en boire dans plusieurs restaurants comme Vin mon lapin, Lundis au soleil, Côté Est (Kamouraska) et Battuto (Québec), entre autres. Mais faites vite, car une seule barrique (17 caisses de 12 bouteilles) a été produite. Quand on dit que c’est rare !

Comprendre le processus de loterie de saq.com