Je rêve d’une maison qui sent la lasagne, le coq au vin et le gâteau moka ; d’une cuisine dans laquelle mes parents seraient en train de s’affairer ; de plats gratinés… Clairement, l’hiver approche.

Il y a des choses qu’on ne peut éviter. Parmi elles : la mort, les commentaires niaiseux sur l’internet et, dans mon cas, une envie automnale de mets apaisants.

Ces jours-ci, je me surprends à penser souvent aux pommes au four de ma mère et à la ratatouille de mon père. Je paierais cher pour rentrer chez moi et trouver de nouveau l’odeur de ces plats. J’en suis venue à me demander pourquoi on associe culturellement l’automne à la cuisine réconfortante…

« Je ne crois pas que ce soit un phénomène officiellement documenté », m’a répondu en riant Marie-Pierre Gagnon-Girouard. D’un même souffle, la psychologue a ajouté que c’est toutefois quelque chose qu’elle observe bel et bien. (Fiou.)

Celle qui enseigne à l’Université du Québec à Trois-Rivières se spécialise en psychologie de la santé. Lors de notre discussion, elle m’a présenté quatre hypothèses pouvant expliquer notre rapport nostalgique à la cuisine d’automne. Si vous rêvez vous aussi de retrouver les effluves de votre jeunesse, vous trouverez certainement de quoi mieux vous comprendre dans les prochaines lignes…

(Se comprendre est le travail d’une vie, mais le faire en passant par la gastronomie m’apparaît un peu moins lourd.)

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

La soupe… idéale par temps froids

Théorie 1 : l’évolution

Il n’est pas si loin, le temps où il nous fallait une bonne couche de gras pour nous préparer à l’hiver, m’a d’abord expliqué Marie-Pierre Gagnon-Girouard. « C’était adaptatif ! Et les aliments qu’on juge les plus réconfortants ont justement une forte densité calorique. »

Le gâteau moka de ma mère, une simple question de survie.

L’automne nous guiderait ainsi vers des plats plus riches, ce qui tombe plutôt bien. Disons que partir le four quand il fait 32 °C, c’est un peu moins d’adon…

Théorie 2 : le retour au nid

Ce temps de l’année peut éveiller un certain besoin de sécurité. Non seulement on sait que l’hiver qui approche nous réserve son lot de rudesse, mais en plus on traverse une « saison triste », estime la psychologue.

PHOTO STÉPHANE BOURGEOIS, FOURNIE PAR MARIE-PIERRE GAGNON-GIROUARD

La psychologue Marie-Pierre Gagnon-Girouard

L’automne, c’est le manque de lumière, le froid, le gris, la déprime, la dépression saisonnière… Il y a un certain repli sur soi. Si on a besoin de réconfort, on peut se tourner vers des choses qui nous faisaient du bien quand on était petit.

Marie-Pierre Gagnon-Girouard, psychologue et professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières

Selon Marie-Pierre Gagnon-Girouard, manger est justement la manière la plus efficace de se réconforter. En fait, on s’y habitue dès l’enfance. On est récompensé par la nourriture, les fêtes viennent avec des gâteries et même les plats plus ordinaires sont synonymes d’apaisement.

J’ai appris un terme, à cet effet : la néophobie alimentaire. Il s’agit d’une crainte de la nouveauté que beaucoup d’enfants connaissent bien…

« Les petits sont très centrés sur la texture, m’a expliqué la psychologue. Ils commencent à manger avec du mou. Les patates et les pâtes font partie des premiers plats qu’ils apprennent à aimer, après la compote. La plupart aiment le spaghetti et le pâté chinois parce que c’est facile à mâcher et que c’est donc super rassurant ! »

Même une fois adulte, on peut trouver ces plats apaisants — et pas uniquement grâce à leur texture : « On est tellement dans un contexte de performance, au quotidien, poursuit Marie-Pierre Gagnon-Girouard. On dirait que le pâté chinois est à l’inverse de ça. Tu ne peux pas le rater… Ni particulièrement le réussir, remarque. »

Au revoir la pression, bonjour le mou.

Théorie 3 : le pouvoir de l’odorat

Notre mémoire est fortement liée à notre odorat. Les odeurs qui ont bercé notre jeunesse ont donc créé des souvenirs profonds. Cette mémoire sensorielle est pure, estime Marie-Pierre Gagnon-Girouard.

Les souvenirs des plats de notre enfance sont particulièrement précieux parce qu’ils nous ramènent à une époque plus simple.

Marie-Pierre Gagnon-Girouard, psychologue et professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières

Une époque où on vivait certes des défis, mais où payer des taxes scolaires et prévoir trois repas par jour n’en faisaient pas partie.

La professeure, qui enseigne la psychothérapie du comportement alimentaire, souligne un autre aspect important de notre mémoire sensorielle : « Pour bien des gens, manger vient avec de la culpabilité. L’odeur, elle, ne vient avec aucune lourdeur. »

Théorie 4 : la puissance du marketing

Si on doit notre besoin automnal de plats réconfortants à des facteurs naturels, on le doit aussi à une certaine construction sociale. Lorsqu’on fait la file à l’épicerie, on peut apercevoir plusieurs magazines prônant la cuisine gourmande, les recettes à la mijoteuse, les classiques revisités (toujours plus simples et rapides à exécuter), etc.

Selon Marie-Pierre Gagnon-Girouard, on n’est pas insensibles à ce marketing. On finit par faire des associations, ce qui n’est pas nécessairement mauvais. Alors qu’on discute de plus en plus d’alimentation locale, il est souhaitable de valoriser les produits offerts chez nous…

Les courges, les patates et les carottes sont abondantes, aussi bien en profiter pour recréer une cuisine où ça sent l’amour.

Qu’importe nos motifs, il n’y a rien de mal à retomber en enfance le temps d’une saison.

Manger riche et mou n’aura jamais pris tant de sens…