De plus en plus de voix se lèvent pour demander d’exclure l’État hébreu du célèbre concours de chanson

Nouvelle polémique à Eurovision. Réagissant aux attaques « brutales sur Gaza » qui auraient fait plus de 27 000 morts palestiniens depuis octobre, plus de 1000 artistes suédois réclament qu’Israël soit exclu de la prochaine édition du célèbre concours de chanson, dont la grande finale est prévue le 11 mai à Malmö, en Suède.

Leur lettre ouverte, publiée la semaine dernière dans le journal suédois Aftonbladet, accuse l’Union européenne de radiotélévision (UER), organisatrice du concours, de se « décrédibiliser » en acceptant la participation d’Israël. « Le fait que des pays qui se placent eux-mêmes au-dessus des lois humanitaires soient les bienvenus dans des évènements culturels trivialise les violations du droit international et rend invisibles les souffrances de victimes », indique la lettre.

Parmi les signataires figurent les chanteurs Fever Ray, Robyn, le duo First Aid Kit ainsi que d’anciens participants au concours, dont une certaine Malena Ernman, chanteuse d’opéra et mère de la militante Greta Thunberg.

Effet d’entraînement ? Cette revendication fait suite à une pétition signée à la mi-janvier par plus de 1400 artistes finlandais et islandais qui appellent leur télévision publique à boycotter l’évènement si Israël y participe.

Selon le journal Al Jazeera, une vingtaine de membres du Parlement européen et du parti espagnol Podemos ont aussi mis de la pression en ce sens, mardi, en dénonçant les « crimes de guerre et le génocide » qui ont lieu contre le peuple palestinien.

Pour le moment, l’UER reste sur ses positions. L’organisation affirme qu’Eurovision est un évènement « apolitique », ajoutant qu’il s’agit d’une compétition entre télédiffuseurs et non entre États et que, par conséquent, elle n’interdirait pas la participation d’Israël.

Ce ne serait pourtant pas la première fois que le concours exclut un pays participant. Il y a deux ans, l’UER a notamment banni la Russie, qui venait d’envahir l’Ukraine.

Mais William Lee Adams, auteur du livre Wild Dances : My Queer and Curious Journey to Eurovision, fait valoir que la situation est ici « plus compliquée », puisqu’Israël n’est pas en guerre contre un autre pays participant. En outre, les chefs de gouvernements européens « ont largement montré leur soutien à Israël » depuis le 7 octobre. Or, Eurovision est un concours organisé par les télés publiques.

Sachant [que le concours est organisé par les télés publiques], il semble improbable que les télédiffuseurs appellent à bannir Israël. À moins que leurs gouvernements respectifs ne changent de position.

William Lee Adams, auteur du livre Wild Dances : My Queer and Curious Journey to Eurovision

« La situation Russie-Ukraine était très claire, ajoute Paul Jordan, auteur de l’ancien blogue DEurovision. C’était l’invasion d’un pays souverain. Dans le cas présent, Israël peut argumenter qu’il ne fait que se défendre, même si d’autres l’accusent d’être allé trop loin à Gaza. » L’expert croit que le concours restera sur ses positions tant que d’autres grandes compétitions internationales, comme la Coupe du monde du soccer, n’appelleront pas elles-mêmes au boycottage.

Gâcher la fête

Même s’il est surtout réputé pour son côté kitsch et divertissant, Eurovision n’est jamais à court de tiraillements politiques. Il est arrivé plusieurs fois, depuis sa création en 1956, que des États profitent de cette émission regardée par des millions de téléspectateurs pour régler leurs différends, que ce soit par le vote du public ou les prises de position des artistes.

En 1969, l’Autriche a refusé de participer au concours organisé à Madrid à cause de la dictature franquiste. En 1976, la Grèce s’est retirée du concours pour protester contre l’invasion de Chypre par la Turquie. En 2016, la chanteuse ukrainienne Jamala l’a emporté avec une charge à peine voilée contre la Russie, qui venait d’envahir la Crimée. En 2019, les concurrents islandais se sont affichés avec des drapeaux palestiniens, alors que le concours se tenait à Tel-Aviv. Sans oublier les nombreuses performances queer, destinées à faire avancer la cause LGBTQ+.

PHOTO JONATHAN NACKSTRAND, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La chanteuse ukrainienne Jamala après avoir remporté le concours Eurovision, en 2016

Une question, du reste : que vient faire l’État hébreu dans un concours apparemment européen ? Réponse simple : comme l’Algérie, l’Égypte ou le Liban, Israël est membre de l’UER, ce qui lui donne techniquement le droit de participation. Et avec quel succès ! En 45 ans, Israël a remporté le concours quatre fois, en 1978, 1979, 1998 et 2018.

Trente-sept pays devraient participer à la 69e édition du concours en mai. Selon Paul Jordan, il n’est pas impossible que la cérémonie soit perturbée par la situation à Gaza. « Je crois que les fans en général accueilleront la participation d’Israël, dit-il. Mais à Malmö, en Suède, il y a un gros soutien pour les Palestiniens. Je ne suis pas certain que la ville sera si chaleureuse. Je crois même que ça peut être un dérangement pour Eurovision. Il y aura beaucoup d’accent sur la sécurité. Beaucoup de discussions sur Israël. J’espère que cette tension ne se transformera pas en quelque chose de plus gros. »