Contrairement à ce que suggère un éditorial de La Presse du 13 avril1, le reste du Canada devrait se tourner vers le Québec pour obtenir des leçons sur la façon de décarboniser d’une manière politiquement faisable. Les études d’opinion publique, dont celles menées par la Chaire sur la décarbonisation de l’ESG-UQAM, montrent que le soutien à la tarification du carbone diminue lorsque le prix augmente.

Grâce à son lien avec la Californie (et peut-être bientôt avec l’État de Washington), le marché du carbone permet au Québec de partager les coûts de réduction des émissions avec des juridictions partenaires où, du moins pour l’instant, les coûts de décarbonisation sont moins élevés.

L’éditorial révèle d’importants malentendus sur la taxe carbone fédérale canadienne par rapport au marché du carbone québécois. Le plus grave est une préoccupation concernant l’objectif du gouvernement fédéral canadien d’augmenter la taxe fédérale sur le carbone à 170 $ par tCO2e d’ici 2030. Ce prix est toutefois loin de correspondre au prix dont le Québec aurait besoin pour atteindre son objectif de réduction des émissions en 2030 s’il renonçait à la liaison avec la Californie.

Les travaux de modélisation menés dans le cadre du projet Perspectives énergétiques canadiennes suggèrent que ces prix devraient atteindre 300 $ par tCO2e si le Québec agissait unilatéralement. Cela ajouterait environ 66 ¢ par litre d’essence d’ici 2030.

Les inquiétudes concernant la surallocation des quotas d’émission sur le marché du carbone, bien que non négligeables, semblent également de plus en plus exagérées. Par exemple, l’étude de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal à laquelle Mme Grammond fait référence prévoyait que les prix du marché du carbone seraient de 25 $US par tCO2e en 2024-2026 alors qu’ils ont déjà atteint 42 $US (57 $CA) lors de la vente aux enchères de février. Cela indique que l’offre des droits d’émission est moins importante que prévu dans l’étude. En réalité, les prix du marché du carbone sont influencés par un certain nombre de facteurs. Un facteur qui peut contribuer à expliquer la hausse significative des prix depuis 2021 est l’entrée en vigueur d’un objectif beaucoup plus important de réduction des émissions à l’horizon 2030 en Californie.

Québec et Colombie-Britannique

Il peut également être trompeur de se concentrer sur les prix. Qu’en est-il des tendances en matière d’émissions ? La meilleure comparaison est celle entre le Québec et la Colombie-Britannique, une province qui dépend également beaucoup de l’hydroélectricité. Les données sur les émissions tirées du Rapport d’inventaire national du Canada indiquent qu’en 2020, les émissions ont diminué au Québec et en Colombie-Britannique depuis 2008 – l’année où la taxe carbone de la Colombie-Britannique a été introduite – de 11 % et de 5 %, respectivement. Ces chiffres sont surprenants, car la taxe carbone de la Colombie-Britannique, sans incidence sur les recettes, a servi de modèle à la politique fédérale canadienne.

Alors que la Colombie-Britannique a dû abandonner son objectif de réduction des émissions pour 2020, le Québec l’a même dépassé si l’on tient compte des droits d’émissions achetés par les entreprises québécoises à leurs homologues californiennes.

Dans l’ensemble, le Québec peut être fier de la performance de son marché du carbone, même si des améliorations sont bien sûr possibles. Il serait peut-être utile de recycler une partie des recettes générées et de trouver des mesures efficaces pour dépenser le surplus. Par exemple, remanier le programme Roulez Vert pour cibler les résidants à faible revenu ou financer les transports en commun. Mais si la politique climatique fédérale est un bon début, le reste du Canada devrait s’inspirer du Québec pour parvenir à une décarbonisation plus profonde.

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