Stéphanie Grammond nous a conviés le 13 avril⁠1 à une pertinente réflexion sur les vertus et défaillances du SPEDE (Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission), communément appelée bourse du carbone, qui lie le Québec et la Californie dans la lutte contre les dérèglements climatiques depuis 2013.

L’éditorial de Mme Grammond souligne que le Québec a été un chef de file en implantant ce programme de réduction des émissions de GES, dont j’ai complété la mise en place à titre de ministre de l’Environnement, tandis que le mérite va aussi à Jean Charest qui avait initié le projet et surtout aux fonctionnaires du ministère qui ont réalisé le travail.

Par la suite, toutefois, l’éditorial dresse un sombre portrait de ce que la bourse du carbone est devenue et a généré. Permettez-moi d’en commenter quelques aspects. Il s’agit en effet de lacunes dont j’appréhendais qu’elles ne soient éventuellement observées et souhaitais qu’elles soient discutées.

Les revenus tirés de la vente aux enchères de « droits d’émissions », dont le plafond devait diminuer chaque année, se sont substitués à ceux du Fonds vert. Ils devaient financer des initiatives allant concrètement lutter contre le dérèglement climatique (à ce moment, on disait réchauffement). Or, avant même les premières enchères, on nous proposait parfois un peu n’importe quoi quant à l’usage de ces sommes, entre subventions déguisées aux suspects habituels, théâtre de marionnettes pour sensibiliser les jeunes ou convoitise d’autres ministères.

Dans ce contexte, un surplus de 1,7 milliard de dollars est préférable à la dilapidation de l’argent, mais pour résister à la tentation du politique, il semble en effet salutaire d’envisager un mode de distribution indépendant de gouvernements qui, successivement, n’ont pas fait preuve de la rigueur que commande l’enjeu et l’intention de tels programmes.

En outre, alors que les 25 entreprises les plus polluantes en termes de GES devaient être assujetties en 2013, on a vu au fil du temps se multiplier les exceptions ayant libéré de grands pollueurs de leurs obligations. Ainsi, le plafond global des émissions ne baissait que trop peu.

Donc, pendant qu’il est temps et afin d’éviter un possible choc tarifaire futur, il y a lieu de réfléchir à davantage de rigueur dans l’assujettissement des entreprises au SPEDE, mais aussi à l’élargissement significatif du nombre d’entreprises et aux critères d’assujettissement au régime.

Les débats récents nous ont éloignés d’une évidence : la réduction des émissions est une obligation pour la planète entière, et le déni que camoufle bien mal les « Axe the tax ! » de ce pays nous rapproche de catastrophes humaines et coûteuses dont on observe les premières manifestations.

S’il convient donc d’initier une réflexion sans complaisance sur les vices et les vertus de la bourse du carbone, il serait imprudent de la remettre en question sur le fond. Imparfaite, oui, en partie parce qu’elle est bien sûr perfectible, mais aussi, voire surtout, par manque de courage dans sa mise en œuvre au cours des 10 dernières années. Rappelons aussi, au moment de reluquer des ristournes aux contribuables, que le mandat du SPEDE n’est pas et n’a jamais été de « taxer » les émissions et de hausser systématiquement les revenus qu’il génère.

Favoriser l’innovation

Le régime a pour but d’inciter les entreprises à réduire leurs émissions par l’innovation, laquelle allait être rétribuée par les vertus d’un marché du carbone liant le Québec, la Californie (déjà un marché plus important que l’entièreté du Canada) et peut-être de nouveaux participants, et pénalisant les entreprises qui tenteraient de se dérober. Mieux encore, je rêvais que cette innovation donne naissance à de la R & D exportable, créant ainsi de la richesse verte. L’Ontario, qui alimente la fronde contre la tarification du fédéral, a bien failli s’y joindre en 2014. La province voisine s’en porterait mieux aujourd’hui, de même que le climat.

Tout ceci ne nous affranchit pas d’un constat sans pitié : la bourse du carbone, avec toutes ses vertus et sans pour autant être « dans le champ », est due pour un examen de conscience de la part du gouvernement du Québec. Le prix plus bas de la tonne de carbone émise au Québec, si on le compare à la taxe carbone du fédéral, n’est en soi pas un vice, mais surtout pas la bonne mesure du succès du SPEDE.

L’atteinte des objectifs de réduction des émissions est le seul barème valable. Or, le SPEDE fait bien, il fait mieux, mais il ne fait pas assez. La faute est surtout politique.

Nous devons enfin garder deux choses en tête : l’abandon de la bourse du carbone donnerait aux libéraux un formidable prétexte pour assujettir le Québec à une taxe fédérale centralisatrice et moins efficace et, peut-être pire encore, un tout aussi formidable prétexte aux conservateurs pour abolir toute forme de tarification sur le carbone afin de plaire à leur base électorale dopée au pétrole de l’Ouest et son lobby.

Le marché du carbone est un autre exemple, avec les ententes en logement, en immigration, en services de garde ou en assurance médicaments, que le Québec a innové avant qu’Ottawa ne tente de vampiriser nos succès et nos impôts dans nos propres juridictions. Alors si nous pouvons faire mieux, nous devons faire mieux, et sans jamais renoncer à ce qui nous distingue.

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