Le Québec a été un chef de file en environnement lorsqu’il a lancé sa bourse du carbone, en 2013. Mais plus de 10 ans après cette belle avancée, notre système ne tourne pas rond. Si bien qu’on est presque jaloux de la taxe carbone fédérale qui s’applique chez nos voisins !

Qu’est-ce qui cloche ?

D’une part, le prix du carbone au Québec est largement inférieur à celui des autres provinces, qui commencent à crier à l’injustice. La question se pose : notre tarification de la pollution est-elle trop timide ?

D’autre part, Québec n’arrive pas à investir l’argent récolté grâce à la bourse du carbone qui doit servir à financer des initiatives vertes. À ce compte, on se demande s’il ne serait pas plus simple de retourner l’argent aux contribuables, comme Ottawa le fait avec la taxe carbone.

Bon, bon… l’idée n’est pas de troquer notre système contre celui d’Ottawa. On risquerait de se retrouver devant rien, alors que les conservateurs de Pierre Poilievre jurent de mettre la hache dans la taxe carbone, sans rien proposer pour la remplacer. Même le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois ont appuyé mercredi une motion conservatrice réclamant un sommet fédéral-provincial télévisé sur la taxe carbone.

N’empêche, le système du Québec mérite un sérieux tour de vis. Le gouvernement lui-même l’admet à mots couverts dans son budget de mars dernier où il parle d’une « optimisation possible du marché du carbone ».

Regardons un peu sous le capot…

Avec le marché du carbone du Québec, les entreprises doivent acheter des droits pour avoir la permission d’émettre des gaz à effet de serre (GES). Comme la quantité de droits diminue d’année en année, les émetteurs sont forcés de réduire leurs émissions.

Notre système de plafonnement a donc l’avantage d’offrir des résultats plus prévisibles que la taxe fédérale, qui agit de manière indirecte en s’ajoutant aux prix de détail. Cela encourage les particuliers à réduire leur consommation, en choisissant un véhicule moins énergivore ou en isolant mieux leur maison, par exemple.

Mais le problème au Québec, c’est que le gouvernement a émis trop de droits. À cause de cette surabondance, le prix pour émettre une tonne de GES est de 57 $, ce qui correspond à 13 cents par litre d’essence. C’est nettement moins que le prix de la taxe carbone qui est de 80 $ la tonne, soit environ 18 cents le litre.

Cet écart n’est pas énorme (d’autant que les taxes sur l’essence sont plus élevées au Québec). Mais il ira en s’élargissant, alors que la taxe carbone atteindra 170 $ la tonne en 2030. Cela augmentera la pression des autres provinces pour que nous ajustions notre système.

De fait, notre marché ne fait pas son travail.

La preuve ? Selon une analyse de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, les règles de plafonnement actuelles permettraient au Québec de rater complètement sa cible de décarbonation pour 2030, soit une réduction des émissions de GES de 37,5 % sous le niveau de 19901.

Le pire, c’est qu’après 2030, le prix du carbone risque de monter d’un coup, ce qui pourrait créer une levée de boucliers de la part de la population.

Il vaudrait mieux raréfier les droits d’émission dès maintenant, pour que les prix montent plus graduellement. Autrement, les gens se retrouveront face à un mur, incapables d’ajuster leurs habitudes si vite.

Politiquement, il faudra du courage à la Coalition avenir Québec (CAQ) pour agir aujourd’hui, au lieu de remettre le problème à demain. Mais attendez, il y aurait une bonne façon de faire passer la pilule…

Il faut savoir que l’argent récolté grâce à la vente de droits est aiguillé vers le Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC), anciennement le Fonds vert, qui finance des initiatives de décarbonation.

Or, La Presse dévoilait cette semaine que le FECC est assis sur un surplus de 1,7 milliard et que Québec n’est pas pressé de déployer cette cagnotte2.

Remarquez, mieux vaut garder l’argent en réserve que de le gaspiller en initiatives peu efficaces qui favorisent les mieux nantis de façon disproportionnée, comme dans le passé. Malgré les correctifs apportés, la commissaire au développement durable dénonçait encore en 2022 le manque de transparence et de reddition de comptes du Fonds3.

Tout cela mine la crédibilité de notre tarification carbone aux yeux du public. Il serait donc essentiel de mettre en place un chien de garde indépendant, comme au Royaume-Uni, pour suivre la performance, ou l’inefficacité, des mesures mises en place dans le cadre de la transition verte.

Mais Québec pourrait aussi décider de remettre une partie de l’argent aux contribuables, sous forme de baisses d’impôt (comme en Colombie-Britannique) ou de redevances (comme le fait Ottawa avec la taxe carbone).

C’est en versant des transferts progressifs aux ménages qu’on rend la tarification carbone le plus acceptable aux yeux des citoyens, rapporte une étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke4.

De l’acceptabilité sociale, on en aura grandement besoin pour éviter un ressac populaire qui pourrait faire reculer la transition énergétique.

Alors, envoyer des chèques aux citoyens, ce n’est pas si bête… surtout si ça permet à la CAQ de faire digérer l’« optimisation » de la bourse du carbone qui fera grimper la tarification carbone.

Au bout du compte, polluer coûterait plus cher. Mais les citoyens qui modifieraient leur comportement en auraient plus dans leurs poches.

1. Consultez l’analyse de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal (en anglais) 2. Lisez « Un surplus de 1,7 milliard critiqué de toute part » 3. Consultez le rapport de la commissaire au développement durable 4. Consultez l’étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke