Est-ce trop demander à Ottawa de payer ses factures avant d’en rajouter sur la carte de crédit des contribuables ?

Est-ce trop lui demander de régler ses propres problèmes au lieu de dire aux provinces quoi faire dans leur carré de sable ?

Depuis quelques jours, le gouvernement Trudeau s’adonne à un striptease prébudgétaire inusité : annonce pour protéger les locataires, nouveau programme national d’alimentation à l’école, investissement en infrastructures pour le logement… Les libéraux dévoilent un à un les éléments les plus excitants de leur budget qui sera déposé le 16 avril.

D’un point de vue politique, ce déballage graduel est habile. Amorcée en plein congé pascal, alors que les nouvelles se font rares, l’opération séduction donne la chance au gouvernement de reprendre le contrôle de l’ordre du jour sur des sujets qui touchent les citoyens de près, sujets sur lesquels il se fait talonner par les conservateurs de Pierre Poilievre.

On pourrait dire que c’est de bonne guerre.

Mais l’ennui avec la séance d’effeuillage d’Ottawa, c’est que le gouvernement est déjà tout nu. Il n’a ni l’argent dans ses coffres pour lancer de nouvelles dépenses ni les compétences constitutionnelles pour intervenir dans les platebandes des provinces.

Enfin, ça dépend…

Dans certains cas, le fédéral est dans son droit d’intervenir. Par exemple, Ottawa veut faire en sorte que les loyers payés à temps par les locataires soient considérés dans leur cote de crédit, leur permettant d’obtenir un meilleur score. Fort bien ! Le secteur bancaire est dans la cour du fédéral, personne ne le conteste.

Mais dans d’autres cas, on entre dans une zone grise. Il faut savoir que le fédéral ne peut pas légiférer dans des domaines de compétence provinciale, comme la santé ou l’éducation… mais il peut dépenser dans ces domaines, selon l’interprétation des tribunaux.

Ainsi, les provinces peuvent difficilement s’opposer à l’intention d’Ottawa d’ajouter 1 milliard de dollars sur la table pour financer les repas dans les écoles. Tant qu’Ottawa ne légifère pas, ça passe… même si cette façon de procéder viole l’esprit du partage des compétences et crée des effets négatifs à long terme.

Là où ça dépasse les bornes, c’est quand Ottawa exerce un chantage financier pour forcer la main des provinces récalcitrantes.

Voici un exemple patent.

La semaine dernière, Ottawa a annoncé son intention de créer une nouvelle charte canadienne des droits des locataires qui forcerait notamment les propriétaires à dévoiler l’historique des loyers, alors que Québec refuse de créer un registre provincial.

Il s’agit d’une incursion évidente dans les platebandes des provinces qui n’en avaient même pas été informées. Et dire qu’Ottawa veut travailler en collaboration ! Ça commence mal.

On voit bien que ce sera une collaboration forcée.

Mardi, Ottawa a annoncé une nouvelle enveloppe de 6 milliards pour financer les infrastructures nécessaires à la construction de logements (aqueducs, égouts, etc.). Tant mieux. Sauf que cette manne vient avec une longue série de conditions pour les provinces et les municipalités.

Et devinez quoi ? Les provinces devront accepter la fameuse charte d’Ottawa. Sinon, pas d’argent. Du vrai chantage ! Le fédéral se retrouve à faire indirectement ce qu’il ne peut pas faire directement : légiférer dans un domaine qui n’est pas le sien.

Disons-le clairement : le fédéral n’est pas le patron des provinces. Chacun a ses responsabilités. Chacun est redevable envers ses propres électeurs. Même si une province n’agit pas avec assez de fermeté, ce n’est pas une raison pour que le fédéral lui dise quoi faire.

D’ailleurs, ce n’est pas comme si le fédéral n’avait pas ses propres problèmes à régler. Pensez seulement au secteur du transport aérien qui croule sous les plaintes parce que la charte des voyageurs a été mal conçue par Ottawa.

N’en déplaise au fédéral, le partage des compétences a sa raison d’être. Il protège l’autonomie des provinces et il permet de tenir compte des particularités régionales.

Prenez l’immobilier. Le Québec dispose déjà du Tribunal administratif du logement. Et en santé, il a son régime d’assurance médicaments. Et voilà qu’Ottawa veut imposer des solutions pancanadiennes ! Cela risque de créer des recoupements et du gaspillage de fonds publics. Or, ce n’est pas comme si l’argent nous sortait par les oreilles.

On en aura le cœur net au budget, mais le déficit de l’exercice 2023-2024 pourrait atteindre 46,8 milliards, selon le Directeur parlementaire du budget, près de 7 milliards de plus que prévu il y a quelques mois par le gouvernement.

Non seulement Ottawa est dans le rouge, mais en plus il n’arrive pas à tenir ses promesses.

Le Canada est très loin d’investir 2 % de son PIB en dépenses militaires, comme ses alliés de l’OTAN le pressent de le faire. Il est aussi très loin de faire sa juste part avec les transferts en santé aux provinces.

Alors, on les comprend de se braquer lorsque le fédéral veut créer de nouveaux programmes qui créeront des attentes chez les citoyens. Les provinces savent trop bien qu’elles resteront prises avec la facture si les coûts sont plus élevés que prévu ou si le fédéral se désengage du programme, avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement qui a des priorités différentes.

Alors, avant de se lancer dans l’effeuillage, Ottawa devrait se garder une petite gêne.