Ça ne saute pas aux yeux. Ça fait rarement les manchettes. Mais la prospérité de notre pays prend le bord.

Depuis 40 ans, le niveau de vie du Canada a dégringolé par rapport à celui de 19 pays développés de l’OCDE, comme le souligne le dernier bilan annuel du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal1.

En 1981, le Canada se classait bon cinquième. En 2022, il n’occupait plus que la 12e place, bien en dessous de la moyenne. Et le Québec, désormais au 16e rang, n’a pas échappé à la glissade.

Et ce n’est pas près de s’améliorer.

Alors que les États-Unis carburent à fond, notre produit intérieur brut (PIB) réel par habitant, qui donne la mesure du niveau de vie, a carrément baissé au cours des derniers trimestres, alors qu’il a affiché la troisième croissance parmi les plus lentes de l’OCDE19 pendant quatre décennies.

Ces chiffres peuvent sembler abstraits. Mais cette érosion tranquille de notre prospérité a des conséquences très concrètes dans nos vies.

Ça limite notre capacité à livrer des services publics à la hauteur des attentes des citoyens, des services qu’on ne cesse d’étendre (garderies, assurance dentaire et médicament, etc.) sans prévoir de revenus supplémentaires pour les financer.

Ça freine aussi la capacité des ménages à obtenir des augmentations de salaire, à épargner et à consommer, au moment où l’inflation gruge leur pouvoir d’achat.

Bref, il s’agit d’un enjeu critique pour le Canada. « Il y a péril en la demeure », a prévenu la numéro deux de la Banque du Canada, Carolyn Rogers, cette semaine2.

Le message est clair : il y a urgence d’agir.

Mais d’où vient le problème ? De notre manque de productivité chronique.

Plus ça va, pire c’est. La productivité des entreprises a carrément fondu au Canada en 2023, pour la troisième année consécutive, après des décennies de gains faméliques par rapport au reste de la planète.

Au milieu des années 2000, l’ancien premier ministre du Québec Lucien Bouchard avait mis le doigt sur le bobo, en dénonçant notre piètre productivité. « Quoi ? Serions-nous des paresseux ? », s’étaient braqués les travailleurs.

Là n’est pas la question !

La productivité ne mesure pas la quantité d’efforts que les travailleurs déploient, mais plutôt l’efficacité de ces travailleurs à transformer leurs efforts en production, grâce à la technologie.

Or, pour chaque heure de travail, les Canadiens dégagent beaucoup moins de valeur que les Scandinaves, les Américains, les Allemands ou les Français, par exemple.

Les Québécois ne font pas exception. Chaque heure travaillée génère 23 $ de moins, à parité des pouvoirs d’achat, que dans la moyenne des pays de l’OCDE, un écart d’environ 24 %.

Comment expliquer cet écart ? La réponse se trouve en bonne partie du côté du manque de concurrence qui n’encourage pas les entreprises à investir, comme le démontre une étude récente de Statistique Canada3.

De nombreuses grandes entreprises canadiennes sont protégées par des règles empêchant leur prise de contrôle par des sociétés étrangères. On peut comprendre qu’un pays cherche à protéger des secteurs névralgiques – télécoms, transport aérien, banques – pour ne pas devenir une économie de succursales. Sauf que le Canada est devenu le paradis des oligopoles et c’est toute la société qui en paie le prix, avec une économie ankylosée et des prix à la consommation gonflés.

Pour les petites et moyennes entreprises (PME) – très présentes dans notre économie, mais aussi moins productives –, la faiblesse de notre taux de change agit comme un respirateur artificiel, en rendant le prix de leurs exportations plus abordable. Mais lorsque le huard vole bas, les Canadiens écopent par la bande. Ils paient plus cher pour tous les produits étrangers vendus au Canada et se sentent bien pauvres lorsqu’ils voyagent à l’étranger.

Au lieu de se fier à des béquilles pour rester dans la course, les entreprises canadiennes devraient se creuser davantage les méninges en misant sur la recherche et le développement (R et D).

Il y a du chemin à faire ! Au Canada, les investissements en R et D stagnent à 1,9 % du PIB, alors qu’ils ont grimpé dans tous les autres pays du G7 depuis 2000. Les États-Unis font pratiquement deux fois plus d’efforts que nous.

Après cela, comment se surprendre du fait que le Canada soit le pays du G7 qui enregistre le plus faible nombre de demandes civiles de brevets par habitant ?

C’est bien mauvais signe, car la productivité dépend de notre capacité de transformer les découvertes en nouveaux produits plus concurrentiels et en processus qui permettent d’en faire plus avec moins.

Mais pour cela, il faut sortir le chéquier… ce que les entreprises canadiennes ne font pas assez. En fait, seule la Nouvelle-Zélande investit moins que le Canada.

C’est très inquiétant.

Dans son budget de 2022, le gouvernement fédéral lui-même a reconnu que si les entreprises continuaient à investir aussi peu, le Canada se retrouverait avec la croissance économique par habitant la plus faible de tous les pays de l’OCDE, au cours des 40 prochaines années4.

On n’a pas le choix. Si on veut améliorer notre niveau de vie au Québec, c’est par la productivité que ça passe. Comment s’y prendre ? On s’en reparle demain…

1. Consultez le bilan du CPP de HEC Montréal 2. Lisez le discours de la Banque du Canada 3. Lisez l’étude de Statistique Canada 4. Consultez le budget de 2022 du gouvernement fédéral