La dernière fois qu’Ottawa a affiché un surplus budgétaire, le tout premier iPhone n’existait pas encore et Michael Jackson restait une icône bien vivante de la pop.

C’est vous dire à quel point le Canada est dans le rouge depuis longtemps – une quinzaine d’années, en fait. Et aussi loin qu’on puisse scruter l’horizon, il est impossible d’apercevoir un retour de l’équilibre budgétaire.

Surtout que depuis deux semaines, le gouvernement Trudeau s’est lancé dans une ronde d’annonces qui ajoutera des milliards dans la colonne des dépenses du budget qui sera présenté mardi. Coincés, les libéraux tentent de faire plaisir à tout le monde.

Pour plaire aux électeurs dont la première préoccupation est le coût de la vie, ils débloquent de l’argent pour l’expansion du réseau de garderies, pour la création d’un programme national d’alimentation scolaire ou encore pour la construction de logements et le développement d’infrastructures municipales. Pour répondre à leurs alliés de l’OTAN, ils ajoutent 8,1 milliards sur cinq ans au budget de la défense, ce qui reste minime par rapport aux efforts attendus.

Et pour que le Nouveau Parti démocratique les maintienne au pouvoir, ils jettent les bases d’un programme d’assurance médicaments national, dévoilé en février, dont la facture s’élèvera à plus de 10 milliards par année, grosso modo l’équivalent d’un point de TPS. Il n’y a pas à dire, un gouvernement minoritaire, ça coûte cher !

Il ne reste plus qu’à savoir comment le fédéral financera son interventionnisme grandissant. Exception faite de la période pandémique, ses dépenses n’ont jamais été aussi élevées depuis 2000, en proportion de la taille de l’économie (PIB).

Dans son énoncé budgétaire de l’automne dernier, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, avait enfin fixé des ancrages budgétaires pour s’assurer que les finances publiques ne partent pas à la dérive. Mais elle aura beaucoup de mal à respecter ses propres cibles, si l’on se fie aux prévisions du Directeur parlementaire du budget1.

À moins de réduire d’autres dépenses. Ou à moins d’augmenter les impôts… ce qui n’est jamais très populaire quand on veut remonter dans les sondages.

Néanmoins, il faudra y réfléchir. Les comptes publics ne sont pas un conte de fées. Il n’y a pas de magie : on ne peut pas mettre en place des programmes sociaux de grande ampleur sans jamais avoir à sortir son portefeuille.

Ottawa pourrait s’inspirer du gouvernement du Québec, qui a annoncé, lors de son dernier budget, un examen complet de sa fiscalité.

Si on veut regarnir les coffres, on pourrait notamment considérer l’idée d’imposer davantage le gain en capital, c’est-à-dire le profit réalisé lorsqu’on revend un bien qui a pris de la valeur, comme des actions ou une résidence secondaire (la résidence principale est complètement à l’abri de l’impôt).

La Coalition avenir Québec et le Parti québécois l’avaient proposé lors de la campagne électorale de 2012. La Commission d’examen sur la fiscalité québécoise avait plaidé en ce sens en 2015. Mais Québec ne peut pas agir en solo, pour des questions d’harmonisation. Il faudrait qu’Ottawa ouvre le bal.

En ce moment, le fisc impose seulement la moitié du gain en capital. Par exemple, si vous revendez 500 $ des actions que vous avez payées 400 $, vous serez imposé sur la moitié du gain de 100 $, donc 50 $, ce qui se traduira par une facture fiscale de 26 $, au taux d’imposition maximal de 53 %.

Or, l’exemption partielle du gain en capital profite de façon disproportionnée aux mieux nantis : 82 % des gains sont générés par les 10 % les plus riches et 57 % par le top 1 %, soulignent les auteurs d’une récente lettre ouverte qui plaident pour l’imposition complète du gain en capital2.

De son côté, le professeur de fiscalité Luc Godbout suggère dans un mémoire prébudgétaire d’imposer les trois quarts du gain en capital, ce qui aurait l’avantage d’offrir presque le même traitement que sur les dividendes3.

Dans certains pays, comme les États-Unis, l’impôt sur le gain en capital varie en fonction de la durée de détention, pour reconnaître le fait que l’inflation fait partie intégrante du gain à long terme. Cette approche a le mérite de ne pas mettre dans le même bateau l’investisseur qui achète et revend des actions à l’intérieur d’une même année et le propriétaire d’un plex qui conserve son immeuble pendant 40 ans pour en faire sa petite caisse de retraite.

Mais peu importe la formule, il y a de gros sous à récupérer pour le fisc, puisque l’exemption partielle du gain en capital prive Ottawa de 22 milliards par année et Québec de 2,4 milliards.

Non, il n’y a rien de réjouissant à réfléchir à des augmentations d’impôt, mais la dette pandémique et les programmes sociaux ne se paieront pas tout seuls. Surtout avec la hausse des taux d’intérêt.

L’important, c’est de trouver la mesure fiscale la moins nocive pour l’économie. Comme disait Colbert, le grand argentier du Roi-Soleil, l’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus de plumes avec le moins de cris.

1. Consultez le rapport du Directeur parlementaire du budget 2. Lisez « Repenser l’imposition du gain en capital » 3. Consultez les réflexions en matière de fiscalité de Luc Godbout
En savoir plus
  • 12,5 %
    Dépenses de programmes en pourcentage du PIB, juste avant l’arrivée des libéraux en 2014-2015
    Source : Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques
    15,9 %
    Dépenses de programmes en pourcentage du PIB, selon une estimation pour 2024-2025
    Source : Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques