Qu’est-ce qui se cache derrière le rejet de l’entente de principe pour le renouvellement de la convention collective des infirmières ?

Pourquoi les membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) ont-ils voté à 61 % contre l’entente, la semaine dernière, alors que leur syndicat la jugeait assez raisonnable pour leur suggérer de l’appuyer ?

Réponse courte : beaucoup de confusion et un sérieux manque de confiance.

Réponse un peu plus longue : Québec demande davantage de flexibilité aux infirmières pour livrer de meilleurs soins à la population. Les infirmières ne sont pas contre, mais elles ont peur que leur patron finisse par les obliger à faire le grand écart.

Ce qui les angoisse par-dessus tout, c’est qu’on leur demande de travailler dans un autre département où elles se sentent incompétentes.

Qu’en est-il au juste ?

Québec a répété que les déplacements seraient volontaires. C’est vrai, mais seulement si on demande à une infirmière d’aller travailler à l’extérieur de son centre d’activité (son département, si vous préférez).

Selon l’entente, celles qui acceptent volontairement de prêter main-forte ailleurs reçoivent une prime de 50 $ si elles se déplacent à moins de 100 kilomètres ou de 100 $ si elles vont plus loin. Leur kilométrage est aussi remboursé.

Jusqu’ici, pas de problème.

Or, l’entente prévoit aussi la possibilité de fusionner les centres d’activité, pour gagner en efficacité.

Par exemple, on pourrait fusionner un bloc opératoire et un centre de réveil, afin qu’une infirmière présente durant l’opération puisse assurer le suivi. On pourrait fusionner deux CHSLD, ou deux étages d’un même établissement, pour mieux répartir les forces s’il manque de personnel.

De bonnes idées, donc.

Mais après une fusion, une infirmière pourrait être déplacée à l’intérieur du centre d’activité élargi, dans la mesure où elle a la formation pour accomplir le travail. Elle ne pourrait pas s’y opposer. Elle ne toucherait pas de prime. Mais son kilométrage serait remboursé… sauf si on changeait son « port d’attache », c’est-à-dire son lieu de travail principal.

En donnant un préavis de 30 jours, l’employeur pourrait, en effet, modifier le port d’attache d’une infirmière, à l’intérieur d’un même centre d’activité, pourvu qu’elle ne se retrouve pas plus loin que 35 kilomètres (25 kilomètres à Montréal).

C’est ici que ça commence à tirailler. Surtout dans les grandes villes, à cause de la congestion routière et de la complexité du transport collectif. Imaginez le cauchemar si on demandait à une infirmière qui demeure sur la Rive-Sud d’aller travailler à l’Hôpital général du Lakeshore au lieu de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, après une fusion.

C’est peut-être ce qui explique le résultat très contrasté lors du vote sur l’entente de principe qui a été appuyée dans plusieurs régions éloignées, mais fortement rejetée à Montréal, Québec ou Trois-Rivières.

Si les infirmières sont nerveuses, c’est que l’entente de principe ne prévoit pas de balises claires quant à la distance ou à la nature des soins offerts par les centres qui pourraient être fusionnés.

Il ne faut pas croire pour autant qu’on va fusionner le Québec au complet et envoyer les infirmières d’un bout à l’autre de la province, sans ménagement ! L’objectif est de favoriser une meilleure organisation du travail et un accès accru aux soins pour les patients. L’employeur doit le justifier et consulter le syndicat.

Mais une réorganisation du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, en 2023, a causé beaucoup d’émoi. Toutes les infirmières de la région sont maintenant appelées à travailler une fin de semaine sur trois.

On a souvent entendu que ces changements avaient provoqué une vague de départs. Mais en réalité, 335 infirmières ont quitté leur poste en 2023 pour différentes raisons (retraite, déménagement, promotion, réorientation, etc.), un nombre semblable à celui de l’année précédente.

Ce que l’on a moins dit, c’est que la réorganisation a permis de réduire de 46 % le « temps supplémentaire obligatoire » (TSO), qui est une véritable plaie. Cela provoque un exode des infirmières épuisées et met encore plus de pression sur celles qui restent.

La réorganisation a permis de rééquilibrer le fardeau entre les infirmières qui ont un horaire de jour, du lundi au vendredi, et celles qui offrent des soins 24/7, comme aux urgences ou au CHSLD.

Quand une infirmière qui offre des soins à domicile en santé mentale se retrouve à l’urgence psychiatrique, ça va assez bien. Mais quand une infirmière scolaire aboutit en CHSLD, il y a des pleurs et des grincements de dents. Le CIUSSS a dû s’ajuster.

Même avec de la formation, les infirmières ne sont pas des pions qu’on peut déplacer sur n’importe quelle case. Québec a raison de chercher des solutions pour mieux organiser le travail des infirmières. Mais s’il veut gagner la confiance des infirmières, il devra expliquer sa stratégie de façon plus claire, plus transparente.

Après huit jours de grève et des négociations longues et ardues, personne n’a envie de réécrire l’entente à partir de zéro. Le défi est donc d’identifier des aménagements qui rassureront les infirmières, sans dénaturer les objectifs de souplesse accrue du gouvernement.

Les infirmières peuvent être flexibles, mais ce ne sont pas des contorsionnistes non plus.