Ne vous demandez pas pourquoi il y a des flammèches entre Ottawa et Québec à propos de l’immigration. Les objectifs poursuivis par Justin Trudeau et François Legault, qui se rencontrent ce vendredi, vont en sens contraire de ce qui avait été conclu il y a plus de 30 ans.

C’était en 1991. L’Accord du lac Meech pour réintégrer le Québec dans la famille canadienne venait de s’écrouler. Mais de ses ruines est né l’Accord Canada-Québec qui reprenait les grandes lignes du chapitre de Meech sur l’immigration.

Au cœur de l’entente : la fixation des cibles d’immigration. L’objectif : garantir au Québec, aux prises avec une forte dénatalité, le maintien de son poids démographique de 25 % au sein du Canada, comme le réclamait Robert Bourassa.

Cela posait un problème pratiquement insoluble. Soit Ottawa établissait sa cible nationale, forçant le Québec à prendre 25 % de ce nombre. Soit le Québec fixait sa cible provinciale, obligeant Ottawa à multiplier par quatre pour arriver à la cible canadienne.

Pour qu’aucun gouvernement ne soit à la remorque de l’autre, on s’est entendu sur l’approche des « meilleurs efforts ». Québec ferait de son mieux pour atteindre 25 % et Ottawa lui donnerait les moyens d’y arriver en fixant une cible nationale raisonnable et en accordant un généreux financement pour la francisation.

Or, Québec ne s’est jamais approché de 25 %. En ce moment, on est à seulement 14%.

Dans la province, l’immigration permanente est restée plutôt stable, passant d’environ 50 000 en 1991 à 65 000 en 2022. Pendant ce temps, elle a presque doublé au Canada, pour atteindre 470 000 personnes, avec les visées migratoires de Justin Trudeau qui placent le Québec sur la défensive.

C’est ainsi que le poids du Québec qui avait déjà baissé de 29 % à 25 % entre 1951 et 1991 a glissé à 22 % aujourd’hui, sans que personne semble trop s’en soucier.

S’il y avait un dialogue sérieux sur cet enjeu fondamental, et pas seulement sur les multiples querelles qui en découlent, on réussirait à se rejoindre à mi-chemin, avec des cibles viables et raisonnables.

Mais à quoi bon planifier l’immigration permanente si on accueille sans compter davantage d’immigrants non permanents ?

On parle d’étudiants étrangers qui gonflent les coffres des cégeps et des universités, ce qui fait l’affaire du gouvernement par la bande. On parle aussi de travailleurs temporaires, souvent peu qualifiés, qui aident les entreprises à faire face à la pénurie de main-d’œuvre. Mais au lieu de s’appuyer sur la béquille de la main-d’œuvre bon marché, les employeurs devraient investir pour rehausser leur productivité qui laisse à désirer.

Il n’est pas normal que ce soient les écoles et les employeurs qui déterminent le nombre d’immigrants, sans vue d’ensemble sur le niveau souhaitable pour la société. C’est à l’État de s’assurer que l’immigration n’est pas hors de contrôle, comme en ce moment.

En 2022-2023, le Québec a vu entrer presque 150 000 résidents non permanents… plus du double du nombre de résidents permanents.

Au Canada, ce sont presque 700 000 non permanents qui se sont ajoutés l’an dernier… 20 fois plus que le flot annuel auquel on était habitué avant 2016.

En ajoutant les résidents permanents, la population canadienne s’est accrue de 1,2 million, l’an dernier, soit 3,2 % de sa population (+2,5 % au Québec). Ce niveau est cinq fois plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE (+0,6 %).

Cet accroissement majeur et non planifié pèse sur la crise du logement et sur les services sociaux. Même le marché du travail ne fournit plus : le taux de chômage remonte parce que la création d’emplois n’est pas assez vigoureuse pour combler l’accroissement démographique.

De plus en plus d’économistes sonnent l’alarme. Le Canada est coincé dans un « piège démographique », prévient Stéfane Marion, à la Banque Nationale1.

La preuve ? Même si l’immigration stimule la croissance économique, le produit intérieur brut (PIB) réel (après inflation) par habitant est en baisse. Autrement dit, la tarte grossit, mais il y en a moins à manger pour chacun.

Pour assurer notre bien-être collectif, une meilleure planification de l’immigration s’impose. Autant permanente que temporaire. Autant au Québec qu’au Canada. Nous avons besoin d’une réflexion commune qui repose sur autre chose que des slogans politiques et des guerres de clocher.

François Legault rêve en couleurs quand il demande le rapatriement de tous les pouvoirs en immigration. Sachant que la réponse sera non, il affirme d’avance qu’il y a « d’autres options qui se présentent ». En voici une…

Pour reprendre le contrôle de l’immigration temporaire, il serait possible de mieux utiliser l’Accord Canada-Québec, dont l’article 22 prévoit que « le consentement du Québec est requis » avant l’admission de tout étudiant ou travailleur temporaire étranger (sauf exception).

Voilà des pouvoirs que la province pourrait utiliser, sans avoir à renégocier l’accord au complet. Pour établir ce veto, le gouvernement Legault pourrait faire appel au comité mixte, un autre outil prévu dans l’accord afin d’établir des mécanismes de collaboration.

Mais pour que ça marche, encore faut-il que chacun y mette ses « meilleurs efforts ».

1. Consultez l’étude « Le Canada est pris dans un piège démographique »