Justin Trudeau et François Legault ont besoin l’un de l’autre. De la nécessité ne naît pas l’amour. Mais cette dépendance mutuelle les aidera peut-être au moins à trouver des compromis en immigration, car c’est le moins mauvais des choix qui s’offrent à eux.

Après des semaines à voir leurs ministres s’affronter, ils se rencontreront vendredi prochain à Montréal.

Au creux des sondages, M. Trudeau n’a pas le luxe de s’aliéner le chef caquiste. Il aspire moins à lui plaire qu’à l’empêcher de le dépeindre en ennemi du Québec.

Quant à M. Legault, il a besoin de petites victoires face au fédéral. Lors de son premier mandat, il bombait le torse devant Ottawa. Mais avec la montée du Parti québécois (PQ), c’est devenu risqué. À chaque blocage, il démontre malgré lui son incapacité à faire des gains à l’intérieur de la fédération. Et il aide le PQ, selon qui seule l’indépendance permettrait au Québec de faire ses propres choix.

Cette menace n’inquiète plus le fédéral, qui ne croit pas à un référendum. Mais le gouvernement caquiste ne voit pas jusque-là. Il craint surtout une défaite électorale.

Voilà le contexte dans lequel MM. Legault et Trudeau se rencontreront. Mais n’appelez pas cela un sommet. À Ottawa, on s’empresse de dégonfler les attentes. Il s’agit d’une simple rencontre habituelle, comme le fédéral en tient souvent avec les autres premiers ministres des provinces quand il se déplace chez eux. En d’autres mots : ne vous attendez pas à une grande annonce…

Malgré tout, un compromis apparaît possible. Ou, à tout le moins, souhaitable. Québec pourrait céder sur la réunification familiale. Et Ottawa gagnerait en contrepartie à aider le Québec avec les demandeurs d’asile.

En immigration, la Coalition avenir Québec (CAQ) est difficile à suivre. Avant la dernière campagne électorale, M. Legault craignait une « louisianisation » du Québec. Il jugeait « un peu suicidaire » pour le français de hausser de 10 000 ou 20 000 le nombre d’immigrants permanents. Mais il ne disait rien de la hausse nettement plus grande – de 100 000 à plus de 500 000 depuis 10 ans – des immigrants temporaires.

Il faisait de la réunification familiale une priorité, alors que cette catégorie est peu nombreuse et qu’elle a donc un impact relativement modeste sur la langue, et encore plus faible sur la crise du logement – il s’agit par exemple de permettre à un époux de venir vivre avec ses enfants, dans le même logement.

M. Legault a même brièvement entrouvert la porte à un référendum sectoriel sur le sujet, avant de reculer.

Si la position caquiste sur la réunification familiale est confuse, sa gestion l’est encore plus.

Le Québec accorde plus de certificats de sélection pour cette catégorie qu’il n’offre de places. Si vous ne comprenez pas, c’est normal. Je reformule. D’un côté, Québec sélectionne des gens et leur dit : on vous a choisi. De l’autre, il ajoute : mais il n’y a pas de place tout de suite.

Cet engorgement bureaucratique programmé empêche par exemple un père de voir son bébé grandir pendant les trois premières années de sa vie. Tout ça pour pouvoir dire, dans la joute politique, que le Québec n’a pas dépassé de quelques milliers d’individus sa cible d’immigration permanente. Alors que, je le répète, on accueille pendant ce temps 10 fois plus d’immigrants temporaires.

On salue parfois la capacité de la CAQ à reconnaître ses erreurs. Mais dans ce cas-ci, par orgueil, elle conserve des promesses déconnectées qui viennent d’une époque révolue.

Cela explique pourquoi le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a perdu patience. Malgré lui, il doit retarder la réunification des familles. Écœuré de jouer au méchant, il a dit à Québec : si vous les sélectionnez, je vais leur donner leur résidence permanente pour qu’ils s’installent ici.

Par humanité, et par simple souci de cohérence, M. Legault pourrait céder sur ce front. Mais en contrepartie, il a raison de s’impatienter au sujet des demandeurs d’asile.

Québec écope des problèmes pratiques. Où loger les demandeurs d’asile ? Comment franciser et instruire leurs enfants avec la pénurie d’enseignants ? Comment s’occuper de leurs poupons si les places en garderie manquent ? Ces questions très concrètes sont vite escamotées par ceux qui réduisent l’immigration à un débat moral.

Encore pire, le Québec doit payer l’aide de dernier recours à ces demandeurs en attendant que le fédéral leur délivre un permis de travail. L’incompétence d’Ottawa prive les demandeurs d’asile de la dignité du travail.

Au lieu de se pincer le nez, le fédéral pourrait réduire ses délais bureaucratiques, indemniser le Québec et trouver des façons de mieux répartir les demandeurs d’asile à travers le pays. Il n’est pas normal que le Québec accueille entre le tiers et la moitié d’entre eux, selon les différentes méthodes de calcul qui circulent.

D’ailleurs, la récente sortie de ministres caquistes à ce sujet ressemblait beaucoup à celle faite par le gouvernement.

MM. Legault et Trudeau ne régleront pas tout cela lors de leur rencontre prévue vendredi prochain. Mais s’ils arrêtent de se juger et comprennent leurs responsabilités respectives, on pourra se rapprocher au moins un peu d’un compromis. Et ce serait dans leur intérêt partisan aussi.