Et vlan dans les dents ! Les négociations sur l’immigration entre Québec et Ottawa prennent des allures de combat de boxe où les deux joueurs ont oublié les règles du jeu.

Coincées au milieu du ring, des dizaines de milliers de familles qui ont un pied au Québec et l’autre à l’étranger vivent une attente lancinante. Des conjoints sont séparés de leur amoureux. Des parents ne peuvent pas tenir leur enfant dans leurs bras. Pendant un an, deux ans, trois ans, voire davantage… Ce n’est pas humain1.

Dimanche dernier, le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a assené un crochet à son homologue québécoise, Christine Fréchette. Sans crier gare, il a annoncé qu’Ottawa était prêt à outrepasser la cible fixée par Québec pour les dossiers de réunification familiale.

Cette cible de 10 400 personnes par année ne suffit pas à la demande, ce qui a créé un goulot d’étranglement. Avec 20 500 dossiers qui refoulent, les Québécois doivent patienter 34  mois pour faire venir un conjoint de l’étranger, contre 12 mois pour les résidents des autres provinces. Cette situation est aussi déchirante qu’inéquitable.

En voulant accélérer la cadence – ce qu’il a déjà fait dans le passé, soit dit en passant –, Ottawa se donne donc le beau rôle… tout en envoyant dans les câbles le gouvernement du Québec, qu’il accuse de négocier sur la place publique.

À la fin de février, quatre ministres de la Coalition avenir Québec (CAQ) avaient fait une sortie commune pour dénoncer l’inaction du fédéral dans le dossier des demandeurs d’asile.

Les récriminations de Québec sont légitimes.

La CAQ veut qu’Ottawa répartisse mieux les demandeurs d’asile qui affluent au Québec. Malgré la fermeture du chemin Roxham, la province reçoit toujours 55 % des demandeurs, un poids démesuré pour le Québec, qui ne forme que 22 % de la population canadienne. On veut bien faire notre part. Mais pas le double.

Québec veut aussi être compensé pour l’accueil de ces demandeurs d’asile, comme c’était le cas jusqu’en 2020. Mais pour les trois dernières années, Québec calcule que les sommes fournies par le fédéral (216 millions) ne couvrent même pas le quart de ses dépenses (1,05 milliard). On est loin du compte, même si on peut s’obstiner sur les détails de la facture.

C’est dans ce contexte à haute tension que se rencontreront les premiers ministres François Legault et Justin Trudeau, pour discuter d’immigration, le 15 mars prochain.

La CAQ martèle que la nouvelle directive du ministre Miller est un « affront direct aux champs de compétence du Québec ». Or, de nombreux experts en droit de l’immigration ne sont pas de cet avis.

Si on lit bien l’Accord Canada-Québec, signé en 1991, c’est le Canada qui établit les niveaux d’immigration pour l’ensemble du pays, comme l’explique un mémoire de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI)2. De son côté, le Québec s’engage à accueillir un nombre d’immigrants correspondant à son poids démographique, avec la possibilité de dépasser ce niveau de 5 %.

Depuis 30 ans, le Québec a été largement en dessous de la cible, laissant fondre son poids au sein du Canada, sans qu’Ottawa s’en formalise. Mais aujourd’hui, ça accroche.

En février, l’avocat Maxime Lapointe a lancé une poursuite contre la ministre Fréchette, qu’il accuse de créer des goulots d’étranglement en fixant des cibles trop basses en réunification familiale.

D’ailleurs, ce goulot d’étranglement existe aussi pour les réfugiés : quelque 36 000 dossiers, pourtant acceptés par Québec, sont artificiellement coincés dans la machine administrative, pour respecter les cibles trop faibles de Québec (7200 par an).

Bref, on leur ouvre la porte, mais on ne les laisse pas entrer. C’est une manière bien hypocrite de gérer l’immigration.

Comment sortir de l’impasse et venir à bout de ces goulots d’étranglement ?

Rapatrier tous les pouvoirs en matière d’immigration ? N’y comptez pas… à moins de faire la souveraineté. Aucun pays ne cédera les pouvoirs qui touchent des enjeux nationaux (p. ex. : sécurité, frontières, traités internationaux) qui ne peuvent être délégués à une province.

Renégocier l’Accord Canada-Québec ? Bonne chance ! Cette entente financièrement très généreuse pour le Québec fait des jaloux ailleurs au pays.

Et si Québec comme Ottawa faisaient un examen de conscience ?

La politique débridée d’augmentation de l’immigration d’Ottawa – sans planification des logements et des services nécessaires – est en train de nous mener dans une « trappe de croissance », préviennent les économistes.

Et les fameux seuils d’immigration permanente qui monopolisent l’attention ne sont qu’une partie de l’équation. Ils n’incluent pas les immigrants temporaires – souvent des travailleurs moins qualifiés – qui viennent chez nous sans garantie de pouvoir y rester.

Si Québec est sérieux quand il dit qu’il veut des « jobs payantes », il pourrait inciter les entreprises à innover et à investir dans leur productivité plutôt que de se fier à la main-d’œuvre temporaire bon marché.

Ce serait un gage de prospérité pour le Québec, qui aurait ensuite la marge de manœuvre pour réunifier les familles, sans avoir à sortir les gants de boxe avec le fédéral.

1. Lisez «  Deux ans sans pouvoir tenir mon fils dans mes bras, je n’en peux plus » 2. Consultez le mémoire de l’AQAADI