Au Québec, on paie très cher pour un système de santé universel. Mais l’accès aux soins est tellement mauvais que ça ressemble parfois à un déni de service.

En attente depuis des années pour un médecin de famille, des patients se retrouvent dans une situation critique.

Est-il normal qu’une dame de 61 ans se demande si le cancer des ovaires de stade avancé qu’on lui a diagnostiqué après une consultation à aux urgences aurait pu être traité plus tôt si elle avait eu un médecin de famille ?

Est-il normal qu’une jeune étudiante aux prises avec des enjeux de santé mentale sérieux soit dirigée par son CLSC vers un psychiatre au privé qui exige plus de 1000 $ juste pour la première consultation ?

Non ! Ces cas bien réels sont une preuve flagrante que notre système de santé ne remplit pas ses promesses.

Mardi dernier, le député libéral André Fortin a fait la démonstration, en pleine commission parlementaire, de l’impossibilité pour un simple citoyen d’obtenir un rendez-vous en utilisant les mécanismes développés par la Coalition avenir Québec (CAQ).

Sur Rendez-vous Santé Québec ? Il ne trouvait aucune place disponible. Avec le Guichet d’accès à la première ligne (GAP) ? Rien non plus. Et sur Clic Santé ? Les patients sont souvent dirigés vers le privé.

Christian Dubé a été forcé d’admettre que « ça arrive régulièrement1 ».

Mais en voulant mettre en échec le ministre de la Santé, le député libéral s’est retrouvé à faire une passe sur la palette de Christian Dubé qui mène justement des négociations houleuses avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) à propos des ratés du GAP.

Mis en place il y a deux ans, le GAP a permis à plus de 900 000 Québécois d’avoir accès à un groupe de médecins de famille (GMF).

Avec cette belle innovation, la CAQ mettait au rancart sa promesse irréaliste d’offrir un médecin de famille à tous les Québécois, en leur offrant plutôt une prise en charge par un groupe multidisciplinaire. Parfait ! Bien des enjeux de santé peuvent être réglés par un autre professionnel pour permettre aux médecins de se concentrer sur les tâches à valeur ajoutée.

Dans le cadre de l’entente avec la FMOQ, Québec s’était entendu pour verser aux GMF 120 $ par année par patient inscrit, en plus de la rémunération habituelle des médecins. Cette entente devait être le premier pas vers une réforme plus large de la rémunération des médecins.

Au lieu de la rémunération à l’acte qui est affreusement complexe, il serait plus simple de miser sur la « capitation » comme en Ontario, c’est-à-dire la rémunération en fonction du nombre de patients pris en charge2.

Mais encore faut-il que le gouvernement puisse s’assurer que les médecins offrent réellement les services, sans tourner les coins rond. Et c’est ici que ça accroche.

Au gouvernement, on estime que la moitié des patients inscrits à des GMF grâce au GAP n’ont pas vu un médecin depuis deux ans. Le nombre de consultations est resté stable, au Québec, autour de 1,5 million par mois.

La question se pose : est-ce qu’on en a pour notre argent ? On parle d’environ 100 millions par année.

Outré, le syndicat des omnipraticiens réplique que l’entente est respectée. Que des patients ont été vus par des infirmières et d’autres experts embauchés par les GMF. Et qu’ils seront obligés de les mettre à pied si le ministre arrête le financement le 31 mai, comme il l’a annoncé.

« Si le ministre ferme l’interrupteur, ça se peut qu’il fasse noir », lance le président de la FMOQ, le Dr Marc-André Amyot.

Reste que le gouvernement a raison d’exiger des résultats. Le Vérificateur général a démontré à plusieurs reprises, dans le passé, que le gouvernement avait offert des primes aux médecins pour les inciter à suivre davantage de patients, sans obtenir les résultats escomptés.

Pour ne plus rejouer dans ce mauvais film, le ministre Christian Dubé a fait adopter, au grand dam de la FMOQ, le projet de loi 11 qui lui donnera bientôt les données pour mesurer les résultats.

D’ici là, le bras de fer se poursuit.

Mais au-delà de cette guerre de rémunération, le ministre se bat contre un ennemi implacable : la démographie.

Les actions qu’il met en place, si utiles soient-elles, ne mèneront peut-être pas à une amélioration marquante parce que le vieillissement de la population alourdit la tâche des médecins qui sont, par ailleurs, de plus en plus nombreux à prendre leur retraite… et à partir au privé.

D’ailleurs, l’année dernière, le nombre de médecins de famille dans le réseau public a baissé, pour la première fois en plus de 20 ans, malgré l’augmentation des inscriptions dans les facultés de médecine.

Il est donc urgent de trouver des solutions pour permettre aux médecins de famille de faire face au tsunami gris. En voici trois :

  • Réduire la paperasse qui gruge le quart de leur horaire.
  • Utiliser davantage la télémédecine : tellement de problèmes mineurs peuvent se régler au téléphone et par courriel, ce qui serait plus productif pour tout le monde.
  • Mettre les autres professionnels à profit, comme les infirmières praticiennes spécialisées (IPS) qui pourront prendre en charge des patients de première ligne… ce qui fait grincer des dents la FMOQ, car les médecins perdront leur prime de supervision.

Si on veut avancer, il faut laisser le corporatisme au vestiaire.

1. Lisez « Le PLQ met Christian Dubé dans l’embarras » 2. Lisez « Payons les médecins autrement »