Nous sommes en 1982. L’inflation est dans le plafond, à plus de 10 %. L’économie est au tapis, terrassée par la pire récession depuis la crise des années 1930.

Le premier ministre Pierre Trudeau a alors la présence d’esprit de lancer une vaste réflexion pour rendre les entreprises plus productives et plus agiles face aux bouleversements internationaux et technologiques. La commission Macdonald débouchera notamment sur l’idée du libre-échange avec les États-Unis que reprendra le premier ministre Brian Mulroney.

Mais l’œuvre reste inachevée. Plus que jamais, le Canada a besoin d’un électrochoc.

Et Justin Trudeau serait bien avisé de suivre l’exemple de son père et de déclencher une réflexion profonde et audacieuse pour sortir l’économie canadienne du confort de ses pantoufles.

Depuis plus de 40 ans, le Canada est en queue de peloton en matière de productivité, ce qui mine la progression de notre niveau de vie, comme nous l’avons exposé hier1. Mais ce n’est pas une fatalité. On peut – et on doit – renverser la vapeur. Il en va de l’avenir du pays.

Par où commencer ? On doit faire tomber les barrières qui entravent le commerce à l’intérieur de nos propres frontières.

Le Canada est un pays étendu dont les différents marchés régionaux restent cloisonnés, non seulement par la distance géographique, mais aussi par une foule de règles provinciales qui freinent la libre circulation des produits et des travailleurs.

Restriction sur la vente de produits alimentaires et d’alcool, coûts, délais et paperasse pour l’obtention de permis. Manque d’harmonisation dans les règles de camionnage, d’étiquetage… Une foule de tracasseries compliquent la vie des entreprises qui veulent faire des affaires dans une autre province.

Par la bande, ces règles gonflent les prix pour les consommateurs, ce qui équivaut à une taxe de 7 % sur les produits, soit deux points de plus que la TPS, d’après Statistique Canada.

Ce n’est pas rien !

Éliminer ces barrières pourrait augmenter notre produit intérieur brut (PIB) de 4 % (encore plus au Québec), ce qui représente 90 milliards de dollars par année, soit 2300 $ par personne, selon une étude du Fonds monétaire international2.

L’Accord de libre-échange canadien (ALEC), conclu par le fédéral et les provinces en 2017, n’a pas donné les résultats espérés, à cause de nombreuses exceptions que les provinces ne veulent pas éliminer. Elles craignent de subir les contrecoups économiques et politiques sans profiter des avantages si les autres provinces n’emboîtent pas le pas.

Le sujet est délicat, car les provinces ont leurs champs de compétence. Mais si ça devient un outil de protectionnisme, on se tire collectivement une balle dans le pied. Le Canada a signé des ententes de libre-échange avec plus de 40 pays, mais il peine à créer un marché libre à la maison. N’est-ce pas ironique ?

Pour fouetter la concurrence et la productivité, les gouvernements auraient aussi tout avantage à redessiner leur politique industrielle qui date d’une époque révolue, celle du chômage élevé.

La création d’emplois était un mantra qui n’a plus sa pertinence dans un monde où l’on manque de cerveaux, pas de boulot. Aujourd’hui, c’est surtout l’investissement et l’innovation qu’il faut stimuler.

Les programmes se sont additionnés au fil des ans sans qu’on évalue leur efficacité. Le Québec est un champion de l’aide aux entreprises, avec des crédits d’impôt de deux à trois fois plus coûteux que l’Ontario, toutes proportions gardées.

En avons-nous pour notre argent ? Rien n’est moins sûr. Heureusement, la Coalition avenir Québec a annoncé un examen complet de son système fiscal, lors du dernier budget. Et Ottawa a entrepris une réflexion sur ces crédits à la recherche.

Allez hop ! Faisons un grand ménage de printemps dans la multitude de petits crédits qui compliquent le système indûment et qui détournent des ressources nécessaires pour stimuler la productivité d’entreprises dotées d’un meilleur potentiel.

Assurons-nous que l’aide soit mieux ciblée. Par exemple, l’aide fiscale pour la recherche et le développement a plus d’impact pour les petites entreprises qui peinent à en faire, faute de financement et de main-d’œuvre spécialisée, que pour les grandes entreprises qui en feraient de toute façon.

Il existe bien d’autres pistes pour améliorer notre productivité et notre prospérité. Bonifier la formation et la requalification. Favoriser la diversité en entreprise pour stimuler l’innovation grâce au choc des idées. Inciter les entreprises à investir dans leur productivité au lieu de se fier à la main-d’œuvre étrangère bon marché.

L’idée n’est pas de mettre sur le dos de l’immigration les problèmes de productivité de longue date du Canada. Mais, comme le soulignent les économistes de la Banque Scotia, les deux tiers du déclin de la productivité depuis 2021 découlent de l’immigration, qui a fait bondir la population de 1,2 million d’habitants en 2023, une hausse de 3,2 % inédite depuis 19573. Un choc pour l’économie.

Enfin, les idées ne manquent pas pour sortir le Canada de ses pantoufles. La volonté politique sera-t-elle au rendez-vous ? Le prochain budget fédéral, à la mi-avril, nous en donnera un aperçu.

1. Lisez notre éditorial « Pourquoi notre niveau de vie prend le bord ? » 2. Consultez l’étude du FMI sur la libéralisation du commerce intérieur au Canada (en anglais) 3. Consultez l’analyse de la Banque Scotia (en anglais)