Ce n’est pas en réaménageant les chaises sur le pont du Titanic que le Québec surmontera la vague des soins aux aînés qui approche dangereusement vite.

Rassurez-vous, il n’est pas trop tard pour donner un coup de barre. Une étude toute fraîche de la Chaire de recherche Jacques-Parizeau en politiques économiques de HEC Montréal trace d’ailleurs la direction à suivre1. Et la ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, a l’intention d’agir.

Vingt ans après la politique « Chez soi : Le premier choix », il est « clair qu’on doit regarder la structure de nos soins à domicile au Québec », a-t-elle affirmé la semaine dernière, en laissant espérer des annonces majeures bientôt.

Souhaitons qu’elle n’accouchera pas d’une souris, car les espoirs sont grands. Les enjeux aussi.

D’ici 2040, le nombre de Québécois âgés de 80 à 89 ans va doubler. Ces aînés, ce sont nos parents ou nos grands-parents dont nous voulons prendre le plus grand soin. Mais en ce moment, nous sommes loin d’être prêts. Très loin.

Le plus récent rapport de la commissaire à la santé et au bien-être2 a sonné l’alarme : en continuant sur la trajectoire actuelle, il faudrait construire 2500 places en maison des aînés chaque année d’ici 2040. On n’y arrivera jamais ! La Coalition avenir Québec (CAQ) n’a pas réussi à en bâtir autant… en six ans.

Faute d’hébergement, ces personnes en perte d’autonomie occuperont des lits sur les étages des hôpitaux, ce qui empêchera d’y transférer les patients coincés sur des civières aux urgences, où l’attente est encore pire (17 h 26 min en moyenne) qu’avant la pandémie, comme le démontrait notre palmarès annuel publié lundi dernier3.

Au lieu d’investir une fortune pour bâtir des maisons des aînés, il est temps de prendre un grand virage vers les soins à domicile. Ça coûte beaucoup moins cher. Et ça correspond davantage aux aspirations des aînés dont la santé se détériore moins vite en restant dans leur milieu de vie.

À l’heure actuelle, de 20 à 30 % de la clientèle des CHSLD a des besoins modérés et pourrait être prise en charge autrement (on parle de profils 8 à 10, sur une échelle allant jusqu’à 14). C’est la croissance de cette cohorte qui fait qu’on doit construire énormément de places.

Pour vous donner une idée, une personne avec un profil 8 a besoin d’aide pour les tâches domestiques (repas, ménage), a des problèmes de mobilité (pour se lever, se laver, s’habiller) et a des troubles cognitifs modérés… tout en étant capable de vivre à la maison avec une aide appropriée.

« La philosophie au Québec fait en sorte qu’on n’est même plus capable de s’imaginer des services suffisants pour les garder à la maison, comme on le fait en Europe ou au Japon », déplore le Dr Réjean Hébert, coauteur de l’étude.

En ce moment, à peine 10 % des besoins en soutien à domicile sont comblés. Québec finance deux heures de soins par semaine, en moyenne. Ne vous demandez pas pourquoi les gens font la file pour le CHSLD.

Comme société, en avons-nous pour notre argent ? Non. Est-il possible d’obtenir de meilleurs soins, sans augmenter les coûts ? Absolument. C’est l’exercice auquel se sont prêtés les chercheurs de la Chaire en activant différents leviers. Un outil interactif permet d’ailleurs aux internautes de faire leurs propres scénarios4.

En augmentant le niveau de service jusqu’à 10 ou 24 heures par semaine, selon les besoins, les experts estiment qu’il en coûterait environ 50 000 $ pour épauler un aîné à la maison. C’est bien moins qu’en CHSLD (environ 125 000 $) ou en maison des aînés (environ 150 000 $).

La beauté de l’opération, c’est qu’elle peut se réaliser à coûts nuls par rapport à la trajectoire actuelle, puisque la hausse des soins à domicile permettrait de réduire le nombre de places à construire.

Pour optimiser le système, les chercheurs proposent aussi d’autres actions qui méritent une analyse attentive :

  • Hausser la contribution de l’usager en CHSLD (actuellement à 2142,30 $ par mois pour une chambre individuelle, pour ceux qui ont les moyens) afin qu’elle couvre au moins l’hébergement (logement, repas, loisirs, etc.). Mais attention de ne pas exacerber les iniquités que le Protecteur du citoyen a déjà dénoncées.
  • Faire davantage appel au privé et aux organismes à but non lucratif dont les interventions en soins à domicile coûtent environ 65 % de moins qu’au public. Cela dit, l’État devrait payer la note et s’assurer que les services reçus répondent aux standards. Un guichet unique pour aider les gens à s’y retrouver est aussi de mise.
  • Réduire les frais de construction des maisons des aînés, qui coûtent pratiquement 1 million par chambre. Faut-il vraiment une salle à manger et un salon où il fait bon jouer aux échecs si on focalise sur une clientèle en lourde perte d’autonomie ?

Pensons-y rapidement, sinon nous allons tous ressentir le poids du manque criant de services, les aînés comme les proches aidants, le plus souvent des femmes.

« Si nos enfants nous voient agir de la sorte avec nos parents, on se demande comment ils vont nous traiter quand ça va être notre tour », dit Pierre-Carl Michaud, coauteur de l’étude.

Le bateau va couler si on ne fait rien. L’heure est venue de changer de cap. Pour vrai.

1. Consultez l’étude Horizon 2040 : projection des impacts du soutien à l’autonomie au Québec 2. Consultez le rapport de la Commissaire à la santé et au bien-être Bien vieillir chez soi – tome 4 : une transformation qui s’impose 3. Lisez le dossier « Quinzième palmarès des urgences de La Presse : pire qu’avant la pandémie » 4. Consultez l’outil interactif d’Horizon 2040
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  • 11,8 %
    Proportion des lits d’hôpitaux du Québec occupés par des personnes qui attendent une place en CHSLD ou des soins à domicile
    Source : ministère de la Santé et des Services sociaux