Député est un travail à temps plein. Un travail exigeant, n’en déplaise à l’ancienne députée conservatrice Claire Samson qui avait comparé son rôle à l’Assemblée nationale à celui d’une plante verte.

En réalité, les semaines sont longues pour les élus qui font constamment la navette entre leur circonscription et la capitale nationale, qui doivent répondre aux électeurs sur le terrain tout en participant aux travaux parlementaires.

On voit donc mal comment ils peuvent trouver le temps pour des activités « parascolaires » comme un emploi à temps partiel ou même des contrats sporadiques. Sans compter que cela pose des risques de conflit ou d’apparence de conflit d’intérêts.

Cette semaine, on a appris que Guillaume Cliche-Rivard restait actionnaire du cabinet en droit de l’immigration qu’il a fondé, même s’il est porte-parole de Québec solidaire en matière d’immigration. Même scénario pour la députée libérale Brigitte Garceau.

Gageons que si un député de la Coalition avenir Québec (CAQ) s’était retrouvé dans une situation semblable, bien des chemises se seraient déchirées !

Mais à sa décharge, il faut dire que M. Cliche-Rivard a suivi les règles de la commissaire à l’éthique. À titre de député, il peut rester actionnaire de son entreprise et toucher des dividendes (d’autres l’ont fait avant lui). Et même s’il assure qu’il n’a pas facturé d’heures, rien n’empêche un député d’avoir un deuxième emploi. *

Bien des élus ne s’en privent pas, à Québec comme à Ottawa.

Il y a quelques années, une compilation du Journal de Montréal avait démontré que près de 20 % des sénateurs occupaient un deuxième emploi⁠1. Le Toronto Star avait aussi exposé qu’une douzaine de députés fédéraux avaient des revenus d’emploi ou d’entreprise⁠2.

Sur la scène municipale, de nombreux élus ont un autre emploi rémunéré. Mais dans leur cas, c’est presque inévitable puisque la rémunération est souvent inférieure à 10 000 $ dans les petites localités.

On est très loin de ça à l’Assemblée nationale, où les députés se sont voté une copieuse augmentation de salaire de 30 %, en 2023. Désormais, leur indemnité de base dépasse 130 000 $. En additionnant les indemnités additionnelles, un bon nombre gagnent plus de 150 000 $ par année, sans compter leur allocation de dépenses de quelque 38 000 $.

À ce compte, on s’attend à ce qu’ils se consacrent pleinement à leur charge publique, même si rien ne les y force.

Il y a toutefois certaines balises.

Premièrement, les députés provinciaux ne peuvent pas occuper un emploi incompatible avec leurs fonctions, notamment un autre poste rémunéré pour un gouvernement. Ils ne peuvent pas non plus occuper un poste de député fédéral ou de maire, comme c’était le cas à une autre époque. Simon-Napoléon Parent a même été premier ministre du Québec tout en étant maire de Québec.

Deuxièmement, les députés provinciaux ne doivent pas se placer en situation de conflit d’intérêts. On l’a vu par le passé lorsque la députée de Mirabel Sylvie D’Amours, actionnaire d’une ferme, s’était impliquée dans des débats sur un projet de loi touchant le domaine agricole, ce qui constitue un manquement, avait statué la commissaire.

Troisièmement, les députés peuvent être sanctionnés s’ils ne participent pas régulièrement aux travaux de l’Assemblée nationale. Toutefois, personne ne valide le travail qu’ils accomplissent (ou pas) dans leur circonscription, si ce n’est le whip chargé de la discipline du parti.

Cela étant dit, aucune règle ne dicte combien d’heures un député peut raisonnablement consacrer à un autre emploi sans négliger le mandat que les électeurs lui ont confié.

Dans la catégorie « ça dépasse les bornes », le cas d’Yves Bolduc saute à l’esprit.

Lorsque Pauline Marois avait pris le pouvoir aux libéraux, Yves Bolduc était retourné à la pratique de la médecine, tout en restant député de l’opposition. Il avait touché une prime de 215 000 $ pour prendre en charge 1500 patients. Une lourde tâche, à n’en pas douter. Lorsque les libéraux ont repris le pouvoir, 18 mois plus tard, il avait abandonné ses patients… mais pas la prime qu’il avait lui-même mise en place lorsqu’il était ministre de la Santé.

Face au scandale fort justifié, le premier ministre Philippe Couillard avait alors admis que le travail extraparlementaire des députés gagnerait à être mieux encadré. Bien d’accord ! Mais qu’est-ce qui a changé depuis ? Rien !

Périodiquement, la question revient donc dans l’actualité. Et c’est le test de l’opinion publique qui s’applique, faute de balises mieux définies.

Mais empêcher les députés d’avoir d’autres revenus n’est pas si simple.

Va-t-on obliger un député qui tire des revenus d’un plex à vendre sa propriété ?

Va-t-on forcer un entrepreneur à se débarrasser de son entreprise s’il est élu député, ce qui l’empêchera d’en reprendre les rênes s’il est battu aux prochaines élections ?

Va-t-on empêcher un médecin de pratiquer quelques heures par mois comme l’ancien député solidaire Amir Khadir l’avait fait pour garder la main ?

Si on veut attirer une variété de profils en politique, afin d’enrichir nos débats de société, il faut garder en tête qu’il y a une vie après l’Assemblée nationale.

Mais on ne veut pas que nos députés jouent sur deux tableaux.

*M. Cliche-Rivard affirme qu’il consacre seulement 8 heures par mois, sur son temps personnel, à son cabinet.

1. Lisez l’article du Journal de Montréal « Un sénateur sur cinq a un deuxième emploi » 2. Lisez l’article du Toronto Star « Does your representative in the House of Commons have a second job ? » (en anglais)