Ça s’est joué en décembre. Les économistes et les experts en finances publiques n’y ont vu que du feu. Mais avec cette entourloupette, le ministre des Finances, Eric Girard, s’est permis de pelleter encore plus loin les problèmes budgétaires du Québec en reportant jusqu’à 2029-2030 le retour à l’équilibre budgétaire.

Et tant pis pour la jeune génération qui paiera la note plus tard. Avec intérêts.

Ça s’est joué lors de la révision de la Loi sur l’équilibre budgétaire, juste avant Noël. Il fallait donner plus de souplesse à cette loi qu’on avait dû suspendre durant la crise du crédit et la pandémie. Lors des périodes de grand stress, il n’était pas facile de respecter l’obligation de revenir à l’équilibre budgétaire en cinq ans.

Sauf qu’en abrogeant l’ancienne loi pour la remplacer par une nouvelle, la Coalition avenir Québec (CAQ) en a subtilement profité pour remettre les compteurs à zéro en s’accordant une nouvelle période de grâce de cinq ans, sans l’ombre d’un débat public. Cela lui donne la latitude pour revenir à l’équilibre budgétaire seulement en 2029-2030.

Rendue là, la province aura été dans le rouge pendant neuf ans. Sur cette période, elle aura accumulé des déficits de 55 milliards. Juste pour cette année, on s’attend à un déficit record de 11 milliards… presque quatre fois plus élevé que ce qui était prévu (3 milliards) dans le budget précédent.

La CAQ ne peut plus rejeter la faute sur la pandémie, qui est derrière. Elle ne peut pas non plus tout mettre sur le dos des incendies de forêt de l’été dernier, du faible niveau d’eau qui a réduit les revenus d’Hydro-Québec ou des conventions collectives avec les employés de l’État, qui coûteront quelque 3 milliards par an.

Il ne faut pas oublier que le gouvernement s’était lié les mains dans le dos, auparavant, en réduisant les impôts des contribuables et en bonifiant le crédit d’impôt aux aînés, ce qui le prive de 3,3 milliards par an. Des baisses d’impôt à crédit qui ont été financées à l’aide du Fonds des générations, faut-il le rappeler.

Ce n’est que l’année prochaine que le ministre Girard présentera son plan de retour à l’équilibre budgétaire. Ce ne sera pas de la tarte.

À la page G7 du budget – la préférée du ministre des Finances, si vous voulez tout savoir –, on trouve deux chiffres cruciaux : la croissance des revenus du gouvernement, qui sera de 3,3 % par année d’ici cinq ans, et la croissance des dépenses, qui sera de 2,9 % sur la même période.

L’écart entre les deux est de 0,4 %. Pour éliminer le déficit structurel, il faudra augmenter ce différentiel à 1,1 %. Ce chiffre peut sembler très abstrait, très mince. Mais pour y arriver, il faudra prendre des décisions douloureuses.

Attendez-vous à des années de vaches maigres, bien loin du discours de la CAQ lors des dernières élections.

D’ailleurs, le ministre des Finances n’a pas voulu réitérer les promesses de baisses d’impôt que la CAQ avait programmées pour les prochaines années.

À la place, la CAQ se fait réaliste et mise sur un judicieux exercice d’optimisation des dépenses gouvernementales et fiscales. Hausser les impôts ou la TVQ n’est pas dans les cartons. Mais déjà, la CAQ modifie les crédits d’impôt aux entreprises et aux particuliers qui ne sont plus efficaces.

Par exemple, Québec rationalise les crédits d’impôt pour les entreprises du secteur des technologies de l’information qui avaient été conçus à l’époque où le taux de chômage était dans le plafond. Aujourd’hui, les entreprises s’arrachent la main-d’œuvre spécialisée, et on peut revoir l’aide sans crainte de les voir déménager hors du Québec.

Pour les particuliers, la CAQ fera disparaître le programme Roulez vert, qui finance l’achat de véhicules électriques, jugeant qu’il y a des mesures plus efficaces pour lutter contre les changements climatiques. La CAQ rehausse aussi la taxe sur les cigarettes.

Fort bien. Mais il faudra aller beaucoup plus loin pour équilibrer les livres. Et le gouvernement hésite encore à donner un vrai coup de barre, par crainte de se faire accuser de pratiquer l’austérité.

Cette année, il a considérablement augmenté les dépenses en santé (+ 4,2 %) et en éducation (+ 9,3 %). Mais cela fait en sorte que plusieurs autres ministères verront leur budget diminuer, notamment ceux des Affaires municipales et de l’Habitation, de la Culture et des Communications, de l’Environnement et des Ressources naturelles…

Il n’y a pas de miracle : l’équilibre budgétaire ne reviendra pas de lui-même. Oui, la CAQ propose des initiatives intéressantes pour améliorer la productivité. Oui, elle réclame davantage de transferts d’Ottawa. Croisons-nous les doigts pour que cela gonfle nos coffres.

Mais dans les prévisions du gouvernement, le gros des nouvelles dépenses se sera réalisé d’ici trois ans, tandis que la plupart des efforts d’optimisation donneront des résultats par la suite. Dépenser maintenant, souffrir plus tard. Plus on attend pour prendre le virage, plus on augmente les risques d’accident de parcours.

Et il n’y aura pas toujours une entourloupette pour repousser les efforts à plus tard.