Ce n’est sans doute pas le budget que souhaitait le ministre des Finances, Eric Girard. Et il ne raffolera pas des prochains, si c’est lui qui les dépose. Au détour d’une phrase, il a évoqué que la personne qui le remplacera, quand il ira voir ailleurs, s’il le fait bien sûr, sera une femme. On verra…

Ce budget est celui de la transition rouge. Il esquisse timidement le chemin à suivre pour renouer avec l’encre noire. Mais il prend surtout le soin de retarder ces décisions. Si possible, après la campagne électorale à venir.

Cette année, le déficit est presque quatre fois plus élevé que prévu. Le retour au déficit zéro est reporté au-delà de 2027-2028. Même le dépôt du plan pour y arriver attendra à l’année suivante.

Deux comités sont créés pour identifier des économies dans les programmes et dans la fiscalité. Leurs travaux devraient être dévoilés l’année prochaine. On ignore quand leurs recommandations seront appliquées. Et parmi les autres économies promises, la vaste majorité (2,4, sur 2,9 milliards) viendra après la campagne électorale de 2026.

Cela jette un nouvel éclairage sur la CAQ. Elle n’est pas dans l’urgence d’équilibrer le budget. Elle cherche plutôt l’équilibre politique. Une voie de passage au centre, la plus large possible, afin de plaire à tous en même temps.

Les poids lourds de la CAQ viennent du privé, et ils parlent la langue des affaires. Ils prônent « l’efficience » et rêvent d’attirer des gestionnaires « top gun ». On en déduit à tort qu’ils logent à droite. Les chiffres disent pourtant autre chose.

Tout gouvernement réagit au contexte politique, et celui-ci ne fait pas exception. À l’Assemblée nationale, aucun parti ne priorise la rigueur budgétaire. Les péquistes et les solidaires réclament d’abord plus d’argent pour les services publics, et les libéraux demeurent traumatisés par les compressions ayant contribué à leur débandade en 2018. Quant au Parti conservateur d’Éric Duhaime, il reste loin dans les sondages et ne compte pas de député.

À l’Assemblée nationale, c’est surtout à la CAQ que se trouvent les conservateurs fiscaux. M. Girard en fait partie – il était candidat pour le Parti conservateur de Stephen Harper en 2015. Quand ils siégeaient dans l’opposition, ces députés promettaient un État plus efficace. Mais à l’arrivée au pouvoir de la CAQ, leur influence a décliné. Car l’urgence était ailleurs.

En 2018, le gouvernement caquiste a hérité de finances saines. Les revenus étaient supérieurs aux dépenses. Sur le terrain, toutefois, les besoins étaient immenses. Un réinvestissement important a suivi.

Résultat, les dépenses équivalent maintenant à 25 % de la taille du PIB. C’est le plus haut niveau observé depuis les années 1990. À titre d’exemple, en santé et en éducation, la hausse annuelle moyenne sous le règne caquiste a été respectivement de 7,3 % et de 6,6 %.

Il est vrai que la pandémie y a contribué. Mais la tendance haussière était entamée avant la COVID-19.

Le Québec est donc aujourd’hui en déficit structurel. Mais cela ne fait pas scandale à l’Assemblée nationale. On y parle davantage des enfants sans enseignant permanent ou des patients qui poireautent aux urgences.

Le gouvernement Couillard avait soulevé un tollé en 2014 en imposant des coupes paramétriques. Tout le monde était touché, y compris la santé et l’éducation.

M. Girard a appris de cette erreur.

Il n’a pas serré les freins. Il a plutôt sorti le parachute. L’année dernière, il avait ajouté 24 milliards de dépenses nettes sur cinq ans. Cette fois, les nouvelles mesures sont nettement plus modestes. Elles coûteront 6 milliards sur cinq ans. La majorité ira à la santé et à l’éducation. C’est d’ailleurs le titre du budget : « Priorités santé – éducation ».

En contrepartie, il faudra serrer la vis ailleurs. On le ressent déjà – il y a peu d’annonces en logement et en environnement. Mais le pire est à venir.

Pour compliquer le casse-tête, les revenus seront maigres. Pour la période de 2023-2027, ils augmenteront de 2,9 % par année. Il s’agirait d’un creux depuis les années 1990. Le ralentissement économique fait mal, et la baisse d’impôt réduit encore plus la marge de manœuvre.

« C’est gérable », croit le ministre. Ce serait encore plus gérable s’il obtenait plus de transferts fédéraux, ce qu’il réclame – François Legault et Justin Trudeau se rencontreront vendredi.

Mais pour l’instant, M. Girard est menotté. La commande du premier ministre était rigide : pas « d’austérité », pas de hausse d’impôt.

M. Girard n’avait pas prévu que le Front commun obtiendrait une bonification salariale de 17,4 %. Cela a creusé le déficit, et il n’est pas au bout de ses peines. La moitié des employés de l’État est encore en négociation. Parmi eux : les médecins, les infirmières, les ambulanciers et les employés de la fonction publique.

Une fois de plus, une lutte se fera en coulisses entre ceux qui s’inquiètent de la viabilité des finances et ceux qui veulent protéger les services. Et si la tendance se maintient, la transition restera dans le rouge aussi longtemps que nécessaire pour éviter une punition dans l’urne.