Le temps vole, comme on dit.

En août 2023, Justin Trudeau se défendait de ne pas en faire assez en logement. Ce n’est pas principalement « une responsabilité fédérale », disait-il.

Cette semaine, il a promis au contraire d’en faire plus. Regardez-nous aller ! On va faire de notre « best », comme dirait le poète.

Sa conversion doit être relativisée. Le fédéral était déjà impliqué dans plusieurs programmes. Pourquoi alors le premier ministre braque-t-il les projecteurs sur lui ?

D’abord, parce que son rival Pierre Poilievre en a fait une priorité. Même si ses propositions ne convainquent pas les experts, il fait mal aux libéraux en les associant à la crise.

Ensuite, parce que les électeurs qui peinent à trouver ou payer un logement réclament de l’aide.

La pression est donc à la fois politique et populaire. Dans ce contexte, pas étonnant que Justin Trudeau recoure à sa formule préférée : il sera « là pour les Canadiens ». Ce sera une des priorités du budget qui sera déposé le 16 avril.

Cette semaine, M. Trudeau en a devancé trois annonces pour éviter qu’elles passent inaperçues dans le volumineux budget. Voici les trois mesures qu’il a évoquées.

  •  Modifier la charte hypothécaire canadienne pour améliorer le dossier de crédit d’un locataire qui paye son loyer à temps.
  • Créer un Fonds de protection des locataires (15 millions) pour financer l’aide juridique aux locataires.
  • Créer une Charte des droits des locataires qui préciserait le loyer payé par le précédent occupant, fournirait un bail type et protégerait mieux les locataires contre les rénovictions et d’autres abus.

Pour la première mesure, le fédéral est dans son carré de sable. Les institutions financières relèvent de lui.

Pour la deuxième, il s’agit d’une aide aux provinces, et non d’une intrusion dans leurs compétences. Rien de scandaleux.

La troisième mesure est plus difficile à vendre. M. Trudeau promet d’agir « en collaboration avec les provinces ». Traduction libre : on agit sans les avoir consultées, et pour la suite, on verra…

À l’Assemblée nationale, sans surprise, ça passe mal. Que M. Trudeau se mêle de ses affaires, répond le gouvernement caquiste. Les péquistes et les solidaires sont d’accord, et ça se comprend. Le Québec gère déjà les relations entre propriétaires et locataires. S’il faut mieux protéger les locataires, cela doit se faire à l’intérieur de notre Code civil.

Le débat sur la compétence se fait à deux niveaux.

Le premier porte sur les compétences constitutionnelles. Le second concerne la compétence dans le sens de l’expertise. Que connaissent les élus et fonctionnaires fédéraux en matière de droit des locataires ? Pas grand-chose.

Mais le gouvernement Trudeau sent que le temps presse. Face à un adversaire qui dénonce le coût de la vie, il cherche des mesures concrètes qui frappent l’imaginaire. Et les enjeux concrets relèvent surtout des provinces.

Jeudi, le chef libéral a annoncé des prêts pour financer la construction de garderies. Le Québec ne s’en offusquera pas – il a déjà obtenu un droit de retrait avec compensation pour le programme national de garderies. Mais l’assurance dentaire et l’assurance médicaments promises sont mal reçues, à cause du double problème de compétence.

Et maintenant, un quatrième front s’ouvre avec le logement.

L’initiative de M. Trudeau doit être située historiquement.

De 1971 à 1991, grâce entre autres au fédéral, la part du logement social au Québec est passée de 0,5 % à 9,5 %. Mais en 1992, le gouvernement Mulroney s’est retiré du programme.

Par la suite, le fédéral a recommencé à financer, un peu, des logements dits « abordables ».

Le gouvernement libéral a créé des programmes qui se superposent avec des critères variables. Parmi eux : l’initiative Financement de la construction de logements locatifs, le Fonds national de co-investissement pour le logement, l’Initiative des terrains fédéraux et le Fonds pour accélérer la construction de logements.

Les promoteurs privés peuvent en profiter. Leur édifice peut compter une minorité de logements « abordables ». Et la définition de l’abordabilité varie selon les programmes – elle dépend du prix du loyer ou du revenu du locataire. Ce n’est pas ciblé. Par exemple, un appartement de près de 2000 $ à Montréal peut être admissible…

Cela explique le scepticisme face aux nouvelles initiatives fédérales.

Pour être juste, le fédéral a essayé de stimuler l’offre par d’autres moyens, comme le congé de TPS pour la construction de logements neufs. Il a aussi lancé d’autres programmes mieux reçus, mais temporaires, comme l’Initiative pour la création rapide de logements, qui cible directement les gens vulnérables.

Reste que le fédéral alimente lui-même le déséquilibre qu’il veut régler. Pendant que tous se cassent la tête pour augmenter l’offre, la demande bondit à cause de l’immigration. La hausse des nouveaux arrivants n’a pas créé cette crise. Mais elle l’aggrave sans aucun doute. Là-dessus, le fédéral est plus discret, même s’il s’agit de ses compétences.

Reste que l’offensive de M. Trudeau est commode pour le gouvernement caquiste. Cela lui permet d’endosser le populaire costume du défenseur de la nation. Et de faire oublier que sa compétence, il ne l’utilise pas pleinement pour défendre le droit au logement.