« On devrait lire plus d’essais et d’études, en politique. » La phrase est sortie sans avertissement, au détour d’une interview avec Marwah Rizqy. La députée libérale pensait à tout le monde : les journalistes, les élus et elle-même.

Notre entretien devait porter sur le nouveau tableau de bord du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville. L’idée est très bonne – le Québec manque en effet de données sur le réseau. D’ailleurs, on pourrait aller encore plus loin dans la cueillette et le partage d’informations. Mais c’est là que Mme Rizqy a fait un lien avec une récente lecture, Sous-scolarisation des hommes et le choix de profession des femmes, publié par Robert Lacroix avec Catherine Haeck, Claude Montmarquette et Richard Ernest Tremblay.

« Bien sûr qu’on a besoin de mieux connaître ce qui se passe dans le réseau. Mais il ne faudrait pas non plus se faire croire que c’est ce qui empêche d’agir. Il y a des problèmes bien documentés pour lesquels on ne fait pas grand-chose. Comme les difficultés scolaires des jeunes garçons… »

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La député libérale Marwah Rizqy

Lors de son annonce, M. Drainville a évoqué la possibilité – et non la ferme intention – de dresser à moyen terme un palmarès des écoles. C’était la petite controverse du jour, l’arbre sur lequel tout le monde collait son regard. Pourtant, toute une forêt s’offrait derrière, prête à contempler.

Parmi ces enjeux qui sont devenus comme une toile de fond qu’on ne remarque plus, il y a le retard des garçons.

Il y a un an, mon collègue Yves Boisvert avait consacré une longue chronique à l’essai dont parle la députée1. Depuis, l’actualité a continué son feu roulant. Elle s’intéresse plus aux urgences quotidiennes qu’aux drames qui se perpétuent avec une banale régularité.

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Les auteurs de l’essai Sous-scolarisation des hommes et le choix de profession des femmes, Robert Lacroix, Catherine Haeck et Richard Ernestr Tremblay

Revoici le portrait, en quelques lignes. Pour le taux de diplomation au secondaire, l’écart entre les garçons et les filles dépasse 10 points de pourcentage.

Selon l’enquête internationale PISA de 2018, nos garçons réussissent légèrement mieux en mathématiques. Mais en compréhension de lecture, il y a un fossé effrayant : près de 30 points de pourcentage à l’avantage des filles.

Par la suite, environ trois filles sur quatre accéderont au cégep. Pour les garçons, c’est à peine un sur deux.

Près de 70 % des demandes d’admission à l’université sont faites par de jeunes femmes. « Je le vois quand je vais parler dans les universités, raconte Mme Rizqy. Dans les derniers mois, j’ai commencé à faire sortir les chiffres. En commerce, il y a 60 % de femmes. En droit, 70 %. En santé, 80 %. C’est énorme… »

Le dossier est délicat, car il est facilement récupérable. Pour l’analyser, il faut oublier ses a priori et appréhender les chiffres avec un esprit ouvert, en acceptant de tolérer les apparentes contradictions et les nuances de gris.

D’abord, cet enjeu heurte le combat militant qui vise à parler de genre au lieu de sexe, en remettant en question ces constructions sociales jugées arbitraires. Cela existe, en effet. Mais il y a aussi des différences biologiques objectives entre les sexes. Les études démontrent une fragilité associée aux garçons. Très jeunes, ils accusent en moyenne un retard cognitif et langagier par rapport aux filles. Enfin, ils sont plus susceptibles d’être autistes ou d’adopter un comportement dangereux.

Ce n’est pas propre au Québec. Le même phénomène s’observe ailleurs. L’école ne crée pas non plus cette différence. Mais elle échoue à l’atténuer.

Si cela passe inaperçu, c’est entre autres parce que sur le marché du travail, les hommes gagnent encore plus que les femmes. Leur taux d’activité est également supérieur. La parité n’est pas gagnée non plus pour les femmes dans les postes de pouvoir. Et il y a évidemment toutes les violences subies par les femmes.

La pensée binaire incite à choisir son camp. On devrait pourtant aider tous ceux qui en ont besoin. Se préoccuper particulièrement du sort des petits garçons n’équivaut pas à nier que les différences entre les sexes sont en partie culturelles et que les femmes subissent de la discrimination. Ce combat est compatible avec le féminisme.

C’est aussi cela qu’évoquait Mme Rizqy en plaidant pour une réflexion qui va au-delà des controverses du jour. Le lecteur qui plonge dans un long texte est plus disposé à appréhender le monde dans toute sa complexité.

J’ajoute d’ailleurs à votre liste de lecture un autre ouvrage : Le paradoxe sexuel de Susan Pinker, une psychologue de l’Université McGill. Elle y analyse les différences biologiques et culturelles entre les sexes et examine plusieurs tabous, comme la faible participation des femmes en « STEM » (science, technologie, génie, mathématiques).

Le Québec offre un programme « Chapeau les filles ! » pour les étudiantes en science. « Mais pourquoi on ne prévoit rien pour attirer les garçons par exemple en enseignement, qui pourraient d’ailleurs servir de modèles ? », demande Mme Rizqy.

En s’appuyant sur le livre Sous-scolarisation des hommes…, Mme Rizqy donne d’autres exemples d’initiatives gouvernementales qui font abstraction de données connues.

[L’ancienne ministre de l’Éducation Danielle] McCann avait annoncé une cible pour l’obtention des diplômes au cégep. Mais les filles dépassaient déjà cet objectif ! Le retard s’expliquait juste par les garçons. Pourquoi ne pas les avoir ciblés ?

Marwah Rizqy, députée libérale

On touche ici à un autre tabou. Le gouvernement caquiste, comme son prédécesseur, veut favoriser la persévérance scolaire notamment en orientant les garçons intéressés vers des formations professionnelles (plombier, électricien, etc.) au lieu du diplôme secondaire (DES). En effet, on n’a pas besoin d’aller à l’université pour réussir sa vie. De tels métiers peuvent être bien payés et valorisants. M. Drainville s’inspire de la Suisse et de l’Allemagne, qui misent sur ces parcours.

C’est très bien. Mais ne pourrait-on pas en même temps travailler sur la formation régulière des garçons ? Mme Rizqy rappelle qu’un diplômé universitaire gagne en moyenne un meilleur salaire, risque moins de voir son emploi remplacé par l’automatisation et est également moins susceptible de subir un accident de travail ou de devoir prendre une retraite hâtive pour ménager son corps.

Au-delà d’initiatives isolées, aucune mesure nationale d’envergure n’a été prise, déplore Mme Rizqy. Et même si ça ne fait pas toujours la manchette, cela reste un petit scandale.

En fait, le scandale est peut-être justement que ça ne fasse pas plus souvent la manchette.

1. Lisez la chronique « Le tabou de l’inégalité scolaire des garçons »