La mère d’Éric Lefebvre va s’ennuyer encore plus de lui. En annonçant sa future candidature pour le Parti conservateur du Canada (PCC) tout en restant député à l’Assemblée nationale, son horaire sera encore plus chargé.

L’année dernière, l’ex-whip caquiste justifiait ainsi de se voter une hausse de salaire de 30 000 $.

« Ma mère, qui est fière du travail que je fais […], m’a dit : “Éric, te rends-tu compte qu’on s’est vus une fois dans l’année ?” » Il estimait juste et bon d’être rémunéré en conséquence.

Désormais député indépendant, M. Lefebvre ne participera plus au caucus caquiste ou au conseil des ministres. Mais il s’acquittera encore de ses tâches de député d’Arthabaska, en plus de contribuer à la préparation de la prochaine campagne conservatrice au Québec.

C’est notamment pour ses talents d’organisateur que Pierre Poilievre l’a recruté. On me raconte que le chef conservateur lui a déroulé le tapis rouge. M. Lefebvre a été reçu à Stornoway, la résidence officielle du chef de l’opposition officielle à Ottawa. Un poste de ministre dans un gouvernement Poilievre lui aurait même été promis. C’est du moins ce qu’il a rapporté au gouvernement caquiste, me dit-on.

La loyauté se mesure au sacrifice, et plus un candidat s’annonce tôt, plus il risque gros. La récompense pourrait être proportionnelle.

N’empêche que ce n’est pas une vedette… Pourquoi s’intéresser à lui ? Pour le comprendre, il faut revenir aux échecs passés des conservateurs.

Les prédécesseurs de M. Poilievre ont déjà tenté un flirt avec le Québec. Stephen Harper avait reconnu la nation québécoise. Andrew Scheer avait promis notamment de céder des pouvoirs en immigration et de consentir à une déclaration de revenus unique. Erin O’Toole avait déposé une plateforme spécifiquement pour le Québec. Ces efforts n’ont jamais été récompensés.

M. Poilievre ne les imitera pas. Il mène une campagne plus uniforme. Qu’il soit à Calgary, Toronto ou Québec, son message change peu. Il parle le langage de la colère. Pour gagner la chefferie conservatrice, il a bâti un impressionnant mouvement populaire anti-élite. Même s’il veut rétrécir le rôle de l’État, il refuse l’étiquette de « droite » et courtise aussi le vote ouvrier.

Il attendra la campagne électorale pour préciser ses propositions, et il aura intérêt à garder l’attention sur son message principal : Justin Trudeau doit partir, et je suis le seul à pouvoir le remplacer.

Pour l’instant, à en juger par les sondages, tout baigne pour lui. Il mène partout au pays, sauf au Québec. Même sans y faire de gain, il formerait un gouvernement majoritaire.

Il n’a donc pas besoin de faire de concessions pour plaire aux élus du Québec. Au contraire, il est heureux de calomnier les maires « incompétents » de Québec et de Montréal. Cela renforce l’impression que le pays est brisé et qu’une rupture s’impose.

Il ne faut donc pas s’étonner que le ministre des Finances, Eric Girard, n’ait pas reçu d’appel de M. Poilievre.

« Ça m’étonnerait qu’il en reçoive », confie une source. Les conservateurs ne veulent pas d’un homme qui a déboursé 7 millions de dollars en fonds publics pour aider les millionnaires des Kings de Los Angeles. Ses budgets déficitaires et sa tarification du carbone n’aident pas sa cause.

Comme les neuf députés québécois du PCC, Éric Lefebvre est enraciné dans sa circonscription. C’est une vedette très locale. De la même façon, on n’imagine pas Richard Martel, député de Chicoutimi–Le Fjord et ex-entraîneur des Saguenéens, susciter l’enthousiasme à Longueuil. Autres exemples : Luc Berthold était maire de Thetford Mines avant de devenir député de Mégantic–L’Érable. Et grâce à son travail de terrain, l’entrepreneur Bernard Généreux a su gagner la confiance des électeurs de Montmagny–L’Islet–Kamouraska–Rivière-du-Loup ; ses appuis ont augmenté à un rythme impressionnant.

M. Lefebvre est également enraciné dans le parti. Il était candidat conservateur en 2008. Après sa défaite, il est devenu adjoint principal au cabinet de Denis Lebel, alors ministre du Développement économique dans le gouvernement Harper. Là aussi, il avait démissionné d’un poste de conseiller municipal pour faire le saut à Ottawa.

Enfin, M. Lefebvre est un organisateur politique doué et apprécié de ses pairs. À la CAQ, il était un des meilleurs, dit-on. En se ralliant maintenant aux conservateurs, il pourra les aider.

Et il y a une dernière raison qui explique sa défection hâtive. La circonscription provinciale de M. Lefebvre, Arthabaska, chevauche celle de Richmond-Arthabaska qu’il briguera au fédéral. Or, son député actuel est Alain Rayes. Ce conservateur avait démissionné du caucus après la course à la chefferie houleuse – il avait appuyé Jean Charest, et le clan Poilievre en avait fait un ennemi.

Homme de principe, M. Rayes voulait terminer son mandat. Mais il a 52 ans et il n’est pas indépendant de fortune. Or, il a reçu des offres d’emploi dans les médias. Le poste de directeur général du centre de services scolaire local est aussi vacant. Une fenêtre s’ouvre, et il voudra la saisir. Une élection partielle risque donc d’être déclenchée.

Et ne comptez pas sur M. Rayes pour s’accrocher afin de se venger contre son ancien parti. Éric Lefebvre n’est pas seulement son ancien rival à la mairie de Victoriaville. C’est surtout son ami. Au moins, cette loyauté-là aura tenu le coup.