(Québec) Des députés caquistes sont « surpris » et « secoués » par la décision de leur collègue et whip Éric Lefebvre de « quitter le bateau » pour porter les couleurs du Parti conservateur du Canada (PCC). D’autres départs sont redoutés ; le ministre des Finances, Eric Girard, n’a pas fermé la porte à la possibilité de devenir candidat pour Pierre Poilievre.

« J’ai toujours dit que j’aime le Canada, qu’un jour, je pourrais être intéressé à être ministre des Finances du Canada, mais ce n’est pas là [que] je suis maintenant », a-t-il affirmé lors d’une mêlée de presse mercredi. Le grand argentier du gouvernement Legault se dit « très content » de ses responsabilités actuelles à Québec.

La question lui a été posée à plusieurs reprises mercredi matin, au lendemain du départ de M. Lefebvre. Mais il a refusé de dire qu’il écarte la possibilité de faire le saut chez les conservateurs au fédéral – il a déjà été candidat du PCC en 2015.

Pourquoi vous n’êtes pas capable de dire : je ne me présenterai pas pour le Parti conservateur du Canada ? lui a-t-on demandé.

« Pourquoi je ne suis pas capable de dire ça ? Parce que je n’ai pas à répondre à cette question-là. J’ai des responsabilités, je suis ici, je suis heureux de mes responsabilités », a-t-il affirmé.

« Je vous dis nommément que je suis très heureux de mes responsabilités actuelles, que j’ai de nombreux défis et que nous voulons créer un Québec moderne, une superpuissance économique et que je suis excité par ces défis. »

En décembre, Eric Girard avait voulu dissiper les rumeurs en déclarant qu’il n’y a « pas beaucoup d’intersections entre [ses] valeurs et celles du Parti conservateur » de Pierre Poilievre. Il n’a pas répété de tels propos lorsqu’on lui a posé une question sur le sujet.

M. Girard a simplement répondu qu’il a « rencontré pour la première fois » M. Poilievre à l’occasion des funérailles de l’ancien premier ministre conservateur Brian Mulroney. « Je lui ai serré la main, et le contexte était pour parler de M. Mulroney. »

« Je vais juste être clair. J’ai des responsabilités importantes. Je suis ministre des Finances. Ce sont les responsabilités que j’ai toujours voulues. On a de grandes ambitions pour le Québec. Je suis très content de mes responsabilités », a-t-il également déclaré.

Lors du huis clos pour la présentation de son budget le 12 mars, Eric Girard avait envoyé un message énigmatique en disant qu’il laisserait des finances en ordre à son successeur et en prédisant que cette personne serait une femme.

« Quitter le bateau »

De son côté, le premier ministre François Legault s’est refusé à tout commentaire sur la décision de M. Lefebvre, se limitant à souhaiter une bonne journée à la presse parlementaire.

Le député de Vanier-Les Rivières à Québec, Mario Asselin, a répondu par l’affirmative lorsqu’on lui a demandé si d’autres collègues pourraient quitter la Coalition avenir Québec (CAQ) comme Éric Lefebvre.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Mario Asselin

« J’ai accueilli la nouvelle avec surprise. À 7 h 28 [mardi soir] quand Éric nous a écrit, j’ai été comme tout le monde un peu secoué. […] Éric était quand même le whip », donc le préfet de discipline du caucus. « Qu’il soit un des premiers à quitter le bateau, ça surprend. »

La ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, ex-candidate du PCC, a souhaité « bonne chance » à Éric Lefebvre, mais elle a ajouté que son « cœur est ici à la CAQ ». « Avec mon PM, mon parti, mes collègues », a-t-elle insisté.

Le député de Beauce-Nord, Luc Provençal, n’a pas voulu dire s’il était tenté de faire le saut au PCC. « Je ne commenterai pas », a dit l’élu, qui l’avait emporté par seulement 202 voix contre le Parti conservateur du Québec en 2022.

Le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, a témoigné que la décision de M. Lefebvre les avait « surpris » à la CAQ. D’autres ont souligné qu’il était connu que l’ancien conseiller municipal de Victoriaville avait des liens depuis longtemps avec le PCC pour avoir déjà porté ses couleurs dans Richmond–Arthabaska en 2008.

Je pense que ça ne dit rien de plus que ce que ça dit : M. Lefebvre voulait saisir cette opportunité-là et je respecte ça.

Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications

La ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, ne craint pas l’impact du départ de M. Lefebvre dans l’opinion publique. « On va continuer, ne soyez pas inquiets », a-t-elle dit.

Le président du caucus, Mario Laframboise, ex-bloquiste, a déclaré en substance que l’équipe reste soudée et regarde en avant.

La ministre des Relations internationales, Martine Biron, estime que son ex-collègue, qui a décidé de siéger désormais comme député indépendant, doit s’expliquer. « Est-ce qu’il est ici aujourd’hui ? J’ai hâte de l’entendre. Il a été élu avec une majorité fracassante, alors ses citoyens comptaient sur lui », a-t-elle souligné. Compte tenu de ses fonctions « quand même importantes au sein du gouvernement », Mme Biron est « vraiment curieuse d’entendre les raisons qui motivent sa décision ».

Réactions de l’opposition

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Tanguay, chef intérimaire du Parti libéral

Éric Lefebvre, lui, a pensé à l’avenir, puis je pense que ce que ça veut dire, de façon concrète, c’est qu’Éric Lefebvre voit bien plus d’avenir avec Pierre Poilievre qu’avec François Legault. Et ça, ouch ! Ça fait mal !

Le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay

Les citoyens doivent avoir des représentants qui sont dédiés et dévoués à ce qu’ils font. […] Tu ne peux pas être député rien que sur une patte, il faut que tu aies les deux pattes sur le terrain. Tu veux te présenter à Ottawa avec les conservateurs, bien, va te présenter à Ottawa avec les conservateurs.

Le député de Québec solidaire Vincent Marissal, qui croit que M. Lefebvre devrait démissionner aussi comme député

Pourquoi un député qui siège au Conseil des ministres, qui sait ce qui se passe et ce qui s’en vient, décide quand même de quitter [son parti] ? Les whips siègent toujours au Conseil des ministres, donc ils sont au courant des moindres secrets et grands dossiers à venir de l’État. Et lui, il sait tout ça, mais il quitte [son poste] pareil. Donc, qu’est-ce qu’il y a de mieux à Ottawa, plus loin de Victoriaville que l’est Québec ?

Le député du Parti québécois, Pascal Bérubé